L’Histoire de Lou (13)

Le corps de Lou (2/2)

Sculpture "Femme joyeuse" d'Alain Guillotin

Sculpture « Femme joyeuse » d’Alain Guillotin

Il y a quelques années Lou avait réalisé comme finalement son corps et elle faisaient deux.
« Tu sais je n’arrivais même pas à dire ces termes : « mon corps » … non .. l’expression qui était la plus juste pour moi était « le corps dans lequel je vis » … comme une distance, un détachement … »
Un jour, dans un groupe, Lou exprima cela : la distance qu’elle ressentait vis à vis du corps dans lequel elle vivait.
Les regards interrogateurs qu’elle reçut en réponse à la révélation qu’elle venait de livrer lui firent comprendre que cette perception lui était propre, qu’elle n’était vraisemblablement pas partagée par les autres membres de l’assistance.
« J’étais donc la seule à ressentir cela ? »

Ce fut des mois plus tard, lorsqu’elle s’appliquait à modeler son corps à ce qu’elle voulait qu’il soit, qu’elle réalisa à quel point cette vérité qu’elle avait formulée avait sens.

« Je crois que j’ai pris conscience là que cette distanciation était directement issue de mes expériences d’abus. Comme si, vois-tu, je m’étais alors définitivement extirpé de mon corps et que celui-ci n’était plus qu’une enveloppe charnelle dans laquelle moi j’évoluais mais qui ne me constituait pas … Ce fut très étrange cette révélation … »

En somme la transition de Lou, constituait parallèlement une entreprise de réincarnation, une manière, pour elle, de reprendre possession de ce bien dont elle s’était autrefois séparé, de cette partie d’elle-même qu’elle avait autrefois abandonnée …

« Je me suis évidemment longuement interrogée sur les incidences de ces expériences d’abus sur ma transidentité … »

Dans sa recherche intérieure Lou avait retrouvé des traces de sa féminité dans son passé plus lointain encore et notamment dans sa perception d’elle-même. « Heureusement ! , me dit-elle.
« J’aime à penser que ces expériences avec mon père n’ont eu aucune incidence sur mon désir de vivre femme, voire sur ma perception féminine de moi-même. Je ne voudrais pas lui donner cela. »

« Dans sa réalité je n’étais pas femme avec lui … c’est ma masculinité naissante d’enfant, ou d’adolescent, qui était l’objet de son délire. »

Si bien sûr, Lou s’était interrogée sur sa non-masculinité et son refus de son désir masculin, en lien avec ce qu’elle avait pu vivre, il lui était confortable de réaliser que ses jeux d’enfants étaient des jeux dits « féminins », que ses amis d’autrefois les plus chers étaient des amies et qu’elle gardait par conséquent la totale responsabilité de ce qu’elle était aujourd’hui. « Je ne voudrais pas lui donner cela. » m’avait-elle dit.

Par ailleurs, au fur et à mesure de l’évolution de son corps, au fur et à mesure que son regard se modifiait, dans le sens où plus le temps passait, plus sa vision de celui-ci était féminine, plus alors Lou remarquait que « curieusement » elle se mettait à apprécier la rondeur des formes féminines et en venait à regarder les femmes, toutes les femmes, autrement.

Imperceptiblement, elle prenait conscience de la féminité qui « prenait forme » en elle et elle s’en réjouissait. « C’est comme si quelque chose se modifiait en profondeur sur ma perception de la beauté féminine ou peut-être plus exactement sur la féminité. »

Auparavant, bien auparavant, c’est à dire à l’époque où Lou regardait les femmes plus que les hommes, ses attirances allaient clairement vers les femmes androgynes, ou qui, en tous les cas n’avaient précisément pas ces rondeurs qu’elle évoquaient maintenant.

« Le fait de voir celles-ci poindre chez moi, a changé ma vision ! Je me suis mise à les apprécier comme une identification directe de ma féminité, donc plus généralement de La féminité. »

Du coup, les différences corporelles entre les hommes et les femmes sont devenues pour Lou plus voyantes, plus caractérisables … Elle s’aperçut, au fil des mois que même son regard sur les hommes se modifiait. Elle n’en appréciait finalement que plus, les spécificités de la sexuation des corps et cela la renvoyait plus encore à son besoin de se séparer le plus totalement possible de ces marques corporelles qui caractérisaient encore sa masculinité passée.

Cela faisait un peu moins d’un an que Lou était sous traitement hormonal, lorsqu’elle me dit, fantasme ou réalité, qu’elle percevait (déjà) chez elle des évolutions corporelles comme un léger affaissement de ses épaules ou un léger renflement de ses hanches.
Fantasme ou réalité ? Etait-ce son corps qui évoluait ou bien son regard qui se transformait ? Je sentais, en tout état de cause, que ces légères modifications corporelles, comme à l’époque où Lou guettait la croissance naissante de ses seins, fortifiaient en elle sa perception intime de sa transformation et qu’elles favorisaient l’intégration, l’incarnation de sa féminité. Et cela semblait bon pour elle !

Même son visage, me dit-elle, prenait des formes différentes.
Elle le trouvait plus féminin sans savoir définir exactement pourquoi.

En somme, elle goûtait les joies de l’hormonothérapie qu’elle avait décidé de suivre et chaque jour elle s’en félicitait !

« Tout est mieux dans le meilleur des mondes, Lou, alors ?! »
Lou sourit lorsque je lui fis cette remarque un tant soit peu provocatrice.
« Tu veux que je te parle de ce qui ne va pas, c’est ça ?! »
Je ne savais pas exactement pourquoi je lui avais posé cette question ; peut-être me semblait-il que ce tableau était un peu trop « idyllique », qu’il manquait d’objectivité et, dans ma recherche de la Vérité, avec un grand V, il m’aurait paru peu juste de m’en tenir là, ou tout au moins, il me semblait nécessaire d’interroger Lou sur cela.

« Ai-je envie de t’en parler ? » s’interrogea Lou, non sans un sourire.
Elle m’avoua alors qu’elle n’aimait pas « toutes les formes » que prenait son corps et qu’elle guettait notamment l’évolution de ses fesses dont les formes qu’elle caractérisait de masculines, musclées et rebondies, lui convenaient tout à fait et qu’elle ne souhaitait donc pas les voir se modifier !

« A une époque de ma vie, je disais, « mes fesses c’est mon fond de commerce ! » … mais c’était un autre temps ! » Elle avait en tous les cas gardé un certain attachement à cette partie de son corps et elle nota à cette occasion que si, pendant des années, il lui était difficile de parles de « son » corps, parler de « ses » fesses n’avait jamais été une difficulté.

Lou me parla alors, mais je vous passerai les détails, comme elle appréhendait différemment chaque partie de son corps. Certaines lui appartenaient depuis longtemps, d’autres assez récemment, et d’autres enfin lui paraissaient encore comme un peu étrangères.

Je réalisai alors comme ce travail, que j’appellerais son « travail de réincarnation », se faisait en profondeur et comme il fallait de temps à Lou pour en venir à bout, si tant est qu’elle en viendrait un jour à bout.

« Et ton sexe ? » lui demandais-je.
Lou sourit : « Je m’attendais à ce que tu me poses cette question ! En fait, tu vois, avec mon sexe j’ai un rapport un peu particulier … J’ai une perception un peu extérieure de lui … Comme un objet, en fait … mais un objet qui aurait sa vie propre … c’est un peu étrange … Et tu vois, avec les anti-androgènes, c’est un peu comme si je reprenais le pouvoir sur lui. Je suis contente de constater la diminution de la taille des gonades, je suis contente de constater la disparition des éjaculations … oui je reprends le pouvoir sur lui ! Et quelque part je me dis que si j’arrive à obtenir sa transformation, sa transformation en sexe féminin, je veux dire … eh bien … là … oui … je crois que ce sera mon sexe … ce sera en tous les cas celui que j’aurais décidé ! »

Comme s’il fallait que Lou redessine son corps ? Comme s’il lui fallait le recréer pour se le réapproprier ? Je compris alors que Lou était devenue, en quelque sorte, l’artisane de son nouveau corps !

@ suivre

L’Histoire de Lou (9)

9ème épisode : L’expertise
L'histoire de Lou 09
En France en 2013, pour obtenir un changement d’état civil une Personne transgenre doit obtenir un certificat médical prouvant son transexualisme.

La cour de cassation de Paris dans un jugement du 13 février 2013 (1) rappelle cela : «attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte (…)» . Pour ce faire, le recours à des experts, issus de la « communauté scientifique », s’avère donc nécessaire.

« Pour moi l’affaire est assez claire, voyez-vous. Les relations sexuelles que la malade a entretenues avec son père, démontrent clairement qu’elle était dans une forme assez particulière d’Oedipe inversé ; je vous rappelle à ce titre que le premier cas d’Oedipe inversé a été décrit dans un excellent ouvrage du Docteur Freud en 1935, et que celle-ci, l’inversion de l’Œdipe, je veux dire, provient incontestablement d’une identification inversée à la mère dans les toutes premières années.
Quand nous retraçons l’histoire de l’enfant nous constatons comme la mère, une femme énergique et autoritaire a pu exercer sur celui-ci ou celle-ci, on ne sait plus trop quoi dire !, un pouvoir castrateur et morbide qui l’a transformée, elle, aux yeux de l’enfant, en rivale.
Par ailleurs le désir de l’enfant pour son père, s’il peut surprendre au premier abord le néophyte, démontre clairement les tendances perverses de la malade qu’elle a développées, du reste, pendant le reste de sa vie.
Finalement son père n’a fait que répondre au désir pervers narcissique de l’enfant qui tentait de le séduire afin de prendre symboliquement la place de sa mère.
– Donc, pour vous, Docteur Block, les causes du transexualisme, sont par conséquent très claires et caractérisées ?
– Oui, oui, tout à fait, tout à fait … je dirais même, on ne peut plus claires et avérées. Il est même assez rare de trouver des cas pour lesquels nous nous entendons si rapidement pour rédiger un diagnostic ! N’est-ce pas Docteur Schprountz !
– Tout à fait Docteur Block ! Toutefois ….
– Toutefois ? …
– Oui … toutefois …
– Toutefois ?
– Je rajouterais volontiers un point supplémentaire.
– Ah … Faites … je vous en prie Docteur Schprountz.
– En fait, le cas de cette patiente me fait penser, à celui d’une autre que j’ai eu à traiter il y a quelques années, Dieu ait son âme, qui présentait un transexualisme aigue, comme notre patiente, et dont nous avions diagnostiqué des tendances hystériques fortement développées et par voie de conséquence je me demande, chez notre patiente, comment celle-ci traite ses propres pulsions hystériques ….
– Ah, mais Dc Schprountz, ceci est absolument évident … N’avez-vous pas remarqué les attitudes provocantes de la malade .. Elle gonfle sa poitrine, elle cherche à exciter les hommes avec des tenues affriolantes … (chuchotant soudain) Tenez, ne vous retournez pas, mais je suis certain qu’en ce moment-même, elle fait mine de nous écouter mais qu’en réalité elle cherche à nous séduire. Moi qui l’ai en face je peux vous dire que sa manière de me regarder est loin d’être celle d’une sainte nitouche ! (rehaussant le ton) si je peux me permettre, Docteur Schprountz.
– Je vois … je vois …
– Mais vous ne pouvez la voir, vous êtes de dos !
– Mais puisque je vous dis que je vois …
– Comment cela, vous voyez ?
– Mais dans le reflet de la fenêtre Docteur Block.
– Soit. Dans le reflet de la fenêtre … et vous conviendrez donc comme moi que nous pouvons sans conteste diagnostiquer un cas de transexualisme à tendance hystérico-perverse, n’est-ce pas ?
– Oui, oui .. tout à fait Docteur Block … tout à fait.
– Vous êtes donc d’accord avec moi, voilà qui me ravit, cette expertise n’aura finalement pas été trop longue !
– Toutefois ….
– Toutefois ? …
– Oui … toutefois …
– Quoi, toutefois ?
– Je rajouterais volontiers un point supplémentaire.
– Ah … mais … je vous en prie Docteur Schprountz.
– Eh bien Docteur Block, je ressens chez la patiente un état de découragement intense … Ne ressentez-vous pas la même chose Docteur Block ?
– Non, non … moi je ressentais plutôt une certaine joie que nous ayons pu ainsi achever notre expertise … et une petite faim aussi, peut-être !
– Mais je ne parle pas de vous Docteur Block.
– Ah, je l’espère bien !
– Je disais que je ressens, chez la patiente, comme un état de découragement profond … Voyez-vous, depuis qu’elle est ici, elle n’a pas dit un mot, elle nous regarde d’un regard vague, légèrement vitreux – vous avez observé son fond de l’œil ? – et semble profondément déprimée …
– Ah, j’ai compris Docteur Schprountz, vous voulez pointer le syndrome dépressif de la patiente … Alors là, Docteur Schprountz, je vous dis bravo ! .. ça allait précisément m’échapper … Donc je note : mhhh … transexualisme primaire à tendance hystérico-perverse … euh … je vais donc plutôt noter à « fortes » tendances hystérico-perverses présentant un syndrôme dépressif … caractérisé, oui, je vais rajouter « caractérisé », cela fait tout de suite plus … affirmé, n’est-ce-pas ?
– Oui oui …
– Bon alors, nous y sommes … Vous avez quelque chose à rajouter Docteur Schprountz ?
– Non, non …
– Toutefois ?
– Quoi toutefois ?
– Vous n’avez pas un petit toutefois ?
– Vous vous moquez, Docteur Block !
– Oui, je vous avoue, j’aime assez vous taquiner ! Où souhaitez-vous déjeuner Docteur Schprountz ? Je connais une petite brasserie pas très loin d’ici qui …

– Bon, si vous avez fini, je peux la récupérer mon expertise ?

– Ah excusez-nous, nous vous avions complètement oubliée ! Que c’est drôle Docteur Schprountz !
– N’est-ce pas Docteur Block ! »

Lors de ce même jugement de février 2013, la cour de cassation rappelle la position répétée de la jurisprudence qui précise que la Demanderesse doit également établir « le caractère irréversible de la transformation de son apparence »
En l’absence de vérification visuelle par les juges, lors de l’audience, quant à la véracité de la transformation, une preuve médico-chirurgicale du changement de sexe doit être apportée.
Pour ce faire le recours à des experts, à la charge de la demanderesse (2) est alors ordonné.

« On regarde sa zézette maintenant, Docteur Schprountz ?
– Je vous en prie, Docteur Block.
»

Je ressens, à relater cette situation, un profond sentiment de honte envers ces Personnes, traitées de façon humiliante par ces binômes médico-judiciaire et ce en l’absence d’une législation claire et respectueuse des Personnes, sur le sujet.

Ces situations évoquent en moi d’autres expertises des parties génitales, en d’autres temps, qui déterminaient l’éventuel voyage sans retour de l’expertisé, vers des camps teutons éloignés.

@ suivre

(1) Arrêt n° 108 du 13 février 2013 (12.11-949) – Cour de cassation de Paris – Première chambre civile – ECLI:FR:CCASS:C100108
(2) Le coût de ces expertises peut être évalué entre 1200 € et 3000 € selon les dires des personnes concernées.

L’Histoire de Lou (7)

7ème épisode : Dysphorée du genre

La Toile d'araignée - Paul Newman

La Toile d’araignée – Paul Newman : http://www.toutlecine.com

«La dysphorie de genre, moi j’aime plutôt ! Y en a qui dise que ça fait pathos et tout ça, mais moi, j’aime plutôt ! Lorsque j’ai lu des études qui décrivaient – ou décrivent – la dysphorie de genre, eh bien je me suis dit, « Ah alors, ça existe donc, je ne suis pas toute seule à vivre cela, puisqu’y z’ont même créé un nom pour ça ! », donc, oui la dysphorie de genre, ça a plutôt été une bonne chose pour moi, une bonne révélation !
Tu sais, en fait c’est un peu comme l’homosexualité : une fille vivant dans un monde rempli d’hétéros qui constate qu’elle est attirée par les filles, c’est un choc ; mais si elle sait que cela s’appelle l’homosexualité et qu’il y a plein de filles comme elles qui aiment les filles, eh bien, là, ça va tout de suite mieux ! En tous les cas, c’est comme ça que ça s’est passé pour moi ! Dans les deux cas, du reste – j’ai fait la totale !

Bien sûr si après on dit que les trans c’est des malades et qu’il faut les soigner, là je ne suis plus d’accord ! Mais là aussi, je peux faire le parallèle avec l’homosexualité : se sentir dysphorée du genre c’est comme se sentir gay ou goudou, ça ne se soigne pas ! ça s’assume, ça se revendique, puis ça finit au palais Bourbon !

Là où y a un truc qui est vraiment différent de l’homosexualité, et qui pose un vrai dilemme, je trouve, c’est qu’il y a un vrai paradoxe dans la mise en œuvre de sa dysphorie de genre. Si tu es gay, à part le prix des capotes, tu n’as pas beaucoup de frais ! Les boites gays, ça coûte même moins cher que les boites hétéros, les bars idem, sauf si tu vas à bobo land, ça c’est sûr ! Et puis c’est tout comme frais ! Oh ! éventuellement un petit lifting pour passer la quarantaine mais ça c’est juste optionnel !

Etre dysphorée du genre, c’est autre chose, tu vois : entre le traitement, à vie, ma chère, l’épilation laser, les opérations diverses et variées et tutti quanti, c’est pas une cinécure cette petite histoire ! … Et donc … hein … qui c’est qui paye ? Et c’est là qu’il y a un paradoxe, tu vois : soit c’est la personne dysphorée du genre qui assume financièrement sa dysphorie et finalement ça devient un truc de riches, soit c’est la communauté qui paye, mais alors dans ce cas, il peut être logique de se demander pourquoi qu’elle paierait, la société ? La réponse aujourd’hui c’est qu’elle paye (en partie) si les dysphoréEs du genre sont considéréEs comme des malades ! Et le paradoxe est là pour moi : vouloir être considéréE, tout à fait légitimement, comme une Personne comme vous et moi d’une part, et vouloir que nos soins, traitements, opérations, soient prises en charge par la communauté, d’autre part.

C’est vrai que le paradoxe, comme je viens de le poser, repose sur le fait que si la sécurité sociale paye il va falloir cocher une case : la cause c’est quoi ? Est-ce des raisons de confort ? Est-ce que cela va toucher le processus vitale ? Est-ce préventif ? etc.. Là il y a un vrai débat et vues les restrictions tous azimuts actuelles, si le débat était clairement posé aujourd’hui, ce ne serait pas gagné ! Donc il y a un certain intérêt à être cochée comme malade de la dysphorie !

Bien sûr on peut arguer que si tu es dysphoréE du genre et que si tu ne transitionnes pas, alors ça va mal aller la vie et que du coup c’est mieux de payer pour la transition, qui rend guériE, que de payer des anti-anxiolytiques ou des anti-dépresseurs à vie ….

Ceci dit, n’exagérons pas non plus l’intérêt qu’il peut y avoir à être misE en case dysphoréE ! Les coûts vraiment les plus importants ça reste la chirurgie et notamment les chirurgies faciale et génitale : la chirurgie du visage, c’est classé directement comme esthétique, c’est plein pot pour toi, quant à la génitale, comme tu sais, en France, c’est même pas la peine d’essayer : si tu veux te retrouver avec un machin difforme après t’être fait malmenée par une bande de pseudo-psychiatres experts en dysphorie pouët pouët, tu auras tout bon. Donc y a que l’étranger : Thaïlande, Quebec, Belgique, disent certaines … et là, c’est aussi plein pot pour toi.

Et puis il y a le traitement … c’est pas très cher, peut-être 30/40 euros par mois. Mais bon c’est toujours bon à prendre ! Pour ma part, ça justifie en partie ma complémentaire santé en tous les cas ! Et puis il y a les rendez-vous chez le doc, les examens de sang etc … Pour ce qui est des épilations laser, moi j’ai décidé de les prendre à ma charge, – parce que je ne suis pas sur la paille, non plus ! – mais là où ça a commencé à me mettre en colère c’est que maintenant ils nous font payer la TVA : et hop 20% de plus ! … La séance à 100 euros, c’était pas donné, déjà, passe à 120 … moi, ça me gave ! Je veux bien payer, mais il ne faut pas me prendre pour une vache à lait non plus. Alors j’ai décidé pour l’épilation électrique de me faire classer ALD (Affection Longue Durée) et du coup, pouf, je retombe dans le paradoxe ! Donc d’un côté je crie haut et fort à ceux et celles qui veulent bien me lire « Je suis NORMALEment différente et pas une malade du ciboulot comme qu’on voudrait nous le faire croire» et d’un autre je me fais classer « Affectée pour un long moment », histoire de remettre un peu de justice à ma sauce !! …

Après il y a les filles et les gars qui sont pas aidées par papa/maman. Alors il faut qu’illes fassent avec les moyens du bord. Soit qu’illes rentrent dans les protocoles officiels et bonjour les dégâts, soit qu’illes trouvent des financements parallèles. Bien sûr il y a les mécènes. Mais les mécènes, ça ne court pas les rues. Les mécènes les plus courants des rues, c’est les mécènes qui consomment sur place et qui préfèrent le mécénat à répétition qu’une vraie, bonne et lourde action charitable. Remarque, j’en ai connu ou j’en connais des hommes qui s’en prennent pour une petite et qui l’aide à franchir les étapes. Ça peut même être plutôt sympa. Après, il ne faut pas forcément rechercher trop loin les motivations de la petite, mais bon, c’est une forme de contrat entre deux personnes de bon entendement, alors y a rien à dire, tu vois … Enfin, moi je n’ai rien à en redire.

Ceux et celles qui n’ont pas de sous et qui ne peuvent ou ne veulent s’assurer les services d’un mécène, doivent s’en remettre aux spécialistes de la transgenritude. Finalement le pouvoir qu’ils ont, – qu’ils ont pris – ceux-là, c’est à cause de l’argent. Tu sais, j’ai vu des jeunes nanas ou des p’tits gars, à qui il est arrivé des trucs à faire pleurer parce qu’ils étaient dans les mains de ces gens-là … Un jour je te raconterai.

Donc, tout ça pour te dire quoi ? Tout ça pour te dire que la question de la prise en charge de la transformation, c’est un vrai souci. Aujourd’hui une srs en Thaïlande, ça te coûte dans les dix douze mille euros et au Québec dans les dix huit mille, tout compris, voyage et tout. A ce prix là ce sont vraiment des artistes, mais ça reste vraiment très cher, tu vois. Bien sûr tu peux trouver moins cher mais le résultat, hum hum … La FFS, tu peux trouver sur Paris, genre six sept mille euros. Pour l’épilation faut compter peut-être deux mille euros pour le visage et le corps ça dépend du travail ! … Enfin, comme tu vois c’est une vraie rente cette petite affaire. Donc, question : qui c’est qui paye ? Tu me diras, ça coûte moins cher qu’un appartement et pas beaucoup plus cher qu’une BM !, une grosse BM, quand même ! … »

Oui, comme me le faisait remarquer Lou, « Qui c’est qui paye ? » !
Nous avions régulièrement, elle et moi cette discussion, autour de la prise en charge de la transformation. Lou me soutenait que si celle-ci était intégrée dans la société, les coûts pourraient être nettement diminués. De son côté, elle trouvait cela acceptable que son traitement soit payé par la communauté, comme elle disait, ainsi qu’une partie de l’épilation, mais elle aurait eu quelques scrupules à se faire payer la chirurgie génitale. « Moi, c’est comme ça que c’est juste pour moi. Et la FFS, je crois que je pourrai m’en passer …mais je ne parle que de moi …»

@ suivre
Le 8ème épisode de « L’Histoire de Lou » sera mis en ligne le dimanche 17 mars à 10h.

L’Histoire de Lou (6)

6ème épisode : lhomme

Un borborygme dans la salle d’eau.
Lou est dans le lit, immobile.
Elle sait que bientôt lhomme reviendra.
Reviendra auprès d’elle.
L’odeur de la sueur. Un petit peu acide. Un petit peu caramélisée.
Il lui dira encore des mots, dont la signification profonde est étrangère à Lou. Comme si d’une vague de mots elle n’en percevait que l’écume.
Il lui parlera de l’amour qu’il a, lui, lhomme pour Lou, il lui dira les mots, les mots qu’il dit à chaque fois.
Lou a froid ? Lou a peur ?
Non …
Elle n’a ni froid, ni peur … d’ailleurs elle ne tremble pas … Elle est là; immobile; elle attend ?
Non, ce n’est pas qu’elle attende; elle ne saurait attendre cela. Non, elle oublie. Elle oublie que le temps passe, elle oublie tout simplement de voir le temps passer, elle oublie un instant qu’au bout de ce temps qui passe lhomme reviendra.
C’est peut-être sa manière à elle de se protéger de lhomme.
Ses yeux suivent les lattes qui sillonnent le plafond dans un vaste méandre de bois. Ses yeux, tels un avion, survolent les paysages étranges dessinés par les nervures du pin. Ils se perdent et la perdent, elle, dans cette forêt, ni vierge ni jungle. Ils sautent des précipices, ils planent au dessus de vastes plateaux, ils enjambent des ponts et s’échappent bientôt comme papillons de nuit vers la lumière éclatante du dehors.

Le regard de Lou par la fenêtre observe maintenant la blancheur des cimes. Pureté de la neige. La neige se confond avec le ciel. Montagnes sans relief, cimes sans sommet, vallées sans col. Tout est uni, blanc, gris. Les nuages sont-ils trop bas ? La lumière est-elle trop vive ?

Lou ferme les yeux. Mais ses yeux sont grands ouverts derrière ses paupières closes. Lhomme peut-être aujourd’hui respectera-t-il son sommeil ? Ses nerfs sont tendus. Elle est toujours immobile. Encore plus immobile.

Elle s’efforce maintenant de respirer calmement, posément, uniformément. Lhomme observera son souffle, la régularité de son souffle.
Si elle dort, lhomme respectera peut-être son sommeil. Telle un animal traqué dans la nuit, telle un lièvre embusqué au fond de son terrier, elle entend le souffle se rapprocher. A moins qu’il ne s’agisse du déplacement des pieds sur le sol. Elle ne bouge pas. Elle est immobile. Son souffle même, et malgré elle s’est arrêté. Son coeur semble à son tour attendre pour battre. Un léger tremblement a fait vibrer sa main droite sous le drap posé. Elle sent au fond de ses oreilles, le sang presser ses tympans qui battent maintenant à un rythme saccadé.

Elle visualise la montagne et la ligne imaginaire sur lequel son regard se déplaçait encore il y a quelques instants. Mais elle pressent déjà le corps qui va se poser et elle sentira le creux que celui-ci provoquera et dans lequel si elle n’y prend garde son corps à elle, va sombrer. Elle contracte ses muscles et de la main, celle extérieure au lit, comme le rescapé d’un bateau qui vient de chavirer, elle agrippe le drap. Elle attend. Elle entend.

Lhomme semble hésiter un instant.
Effectivement, il observe Lou, semblant vraisemblablement se demander si elle dort.

Mais, en réalité, n’observe-t-il pas plutôt l’envie qu’il a de Lou ? Endormie ou non … Ne mesure-t-il pas, en fait, l’intensité de son désir, n’apprécie-t-il pas l’opportunité de ce corps dans le lit ?

Puis il laisse tomber sur le sol la serviette qu’il avait autour de la taille.

Lorsque le poids du corps de lhomme s’enfonce dans le lit, Lou par un léger basculement incline son torse à l’opposé. Son épaule gauche a perdu le contact du drap tandis que son bassin s’est légèrement levé.
Réflexe ancestral de l’animal qui protège sa face lorsqu’il est attaqué et qu’il ne sait plus lutter ? Ou retraite foetale ?

Lou est concentrée sur ce geste lent, tenace, invisible; tous ses muscles agissent avec rigueur et volonté. Avec une application effrayante son corps en entier se contracte et se concentre, il s’applique, se tourne, s’acharne, se tend, se détend, glisse et s’enfuit ainsi.

Si lhomme l’a remarqué, (saurait-il remarquer cela ?) il s’en fout.

C’est alors que le contact se fait. C’est à ce moment que lhomme pose sa main sur le corps de Lou. C’est à ce moment que lhomme fait cela : poser sa main sur ce corps-là.
Lou ne bouge plus, soudain. Elle redevient immobile. Soudainement immobile. Intensément immobile. Mais ses muscles sont tendus. Ses muscles, comme tous ses sens semblent tétanisés.

Lou ne pense plus. Son cerveau s’est arrêté de penser. Il fonctionne. Il ne pense plus. Lou n’a plus dans son cerveau que l’image de la main sur son corps. Quelque part sur son corps.

Tout est confus pour Lou alors. Elle mélange les faits, les récits, les histoires … Elle ne sait plus trop bien s’il s’agit d’ elle ou de quelqu’un d’autre. Elle ne sait plus si elle pleurait ou si elle ne pleurait pas.
Elle ne crie pas, elle ne parle pas non plus. Bientôt la voix de lhomme avec une exquise douceur se met à vibrer pour elle.
La voix dans un souffle prononce son nom. Etait-ce même son nom ?

La voix … La voix, curieusement sait chasser les peurs. La voix sait détendre Lou. La voix connaît les mots qu’il faut. Et la voix dit ces mots : les mots qu’il faut pour que Lou détende son corps et que Lou ne repoussent plus les mains de lhomme.

Ainsi lhomme dit les mots qui l’autoriseront à caresser le corps.

Le temps passe encore avec pour seul bruit ces mots. Mots d’amour, mots de tendresse, de désir aussi …
Les yeux fermés Lou les perçoit. Est-elle sensible aux mots ou bien à la musique des mots ?
Les muscles de son corps, un à un, se détendent. Un à un. Les muscles se détendent.

Lhomme interprète cette détente comme de l’acceptation.
Il ne s’agit évidemment pas d’acceptation, ni non plus de résignation, ni même d’oubli, ni de frayeur, il ne s’agit de rien de tout cela. Il ne s’agit de rien. Rien : comme si Lou dans ce moment-ci oubliait d’être, comme si elle s’abstenait d’exister, ne laissant d’elle, finalement qu’une enveloppe de chaire et d’os, comme si elle s’extirpait de ce corps, le laissant à d’autres mains …. vide. Le corps de Lou est vide de Lou.

Lhomme a le temps, il n’est pas pressé. Lhomme sait agir sur Lou. Et il le fait. Il sait les mots qu’il faut, les caresses qu’il faut, le rythme qu’il faut. Il connaît Lou. Il la connaît.

Le corps de Lou est presque totalement imberbe : un duvet à l’aine indique la venue d’une puberté naissante. Ses yeux s’ils étaient ouverts seraient clairs.
La croissance récente de ses muscles dessinent le long de ses bras de petits vallons. Sa peau est très légèrement ambrée. Elle est douce au toucher. Lhomme aime s’y laisser glisser.

Lhomme palpe le corps, il caresse les fesses de Lou, il frôle le dos, les omoplates, la nuque de Lou. La main prend possession des fesses, du dos, des omoplates, de la nuque.
Puis la main s’applique sur l’épaule et l’abaisse. Lentement le corps vient à lui, se découvre à lui. Le corps repose bientôt sur le dos. D’un geste lent, lhomme retire le drap pour exposer la totalité du corps à son regard. Lou a frissonné.
Si elle n’avait pas les yeux fermés, elle pourrait voir le désir de lhomme. Mais Lou ferme les yeux. Résolument. Obstinément. Définitivement.

Un instant seuls les yeux de lhomme caressent le corps.
Lou voit les yeux malgré ses paupières fermées. Elle sent la chaleur vive des yeux. La brillance du regard. Le flux des pensées.

Puis les mains reprennent le chemin de la peau. Elles sont plus fermes, moins douces.
Maintenant Lou a peur. Soudainement peur. Elle sait maintenant. Elle connaît les caresses. Mais cette peur est fugitive. Violente mais fugitive. Comme un éclair dans cette ombre immense.
L’odeur de lhomme se fait plus forte. Il est nu. Il est certainement nu.
Sa bouche caresse à son tour le corps.
La bouche accompagne les mains. De multiples attouchements s’éparpillent sur tout le corps de Lou. Les mains sont expertes. Lou ne peut comprendre les mains. Le travail des mains.

Puis les mains atteignent le sexe. Les cuisses. Le ventre. Le sexe.
Elles le quittent alors pour y revenir après. Elles frôlent, s’échappent, reparaissent, elles prennent le sexe, le reposent, le caressent, l’abandonnent, l’oublient, y reviennent. Elles tracent de larges cercles, puis des cercles plus précis.

Elles palpent, étreignent, pelotent, effleurent, embrassent, frôlent, choient ….
Méthodiquement. Les mains sont expertes. Le corps de Lou réagit au travail des mains. Lhomme connaît ses mains, et le corps de Lou et l’effet de ses mains sur le corps.

Lhomme sourit, lhomme vainqueur, lhomme habile, lhomme rieur. Le sexe est dur dans sa main. Tendu. Le petit sexe est dur dans sa main.
Il continue à travailler le sexe.
Il ne le fera pas jouir. Sait-il jouir ? Lou doit être trop jeune pour jouir ! Non juste pour le jeu. Jouer à rendre dur le sexe de Lou. Lhomme pense que le sexe a du désir. Lhomme pense qu’il a fait monter le désir de Lou. Que lui, lhomme a su faire naître ce désir. Ce désir qu’il a maintenant dans sa main. et avec lequel il joue. Un instant encore. Il pense que ce désir est identique à son désir à lui pour Lou. Le sexe est dur comme le sien est dur. Il ne peut s’agir que du même désir.

Il prend la main de Lou. Il l’ouvre pour y poser son sexe à lui. La main est comme morte. La main de Lou ne prend pas le sexe. Elle ne bouge pas. Lhomme sert la main de Lou autour de son sexe à lui. Mais la main reste morte. La main ne bouge pas. La main ne se ressert ni se détend.

Lou, elle, sent les deux sexes durs.
Celui de lhomme dans sa main, et le sien dans son corps.
Lou sent la fermeté du sexe de lhomme dans sa main. Elle s’effraye des sensations dans le sien. Elle entend le souffle qui se rapproche, qui s’accélère. L’odeur du souffle se mêle à l’odeur du corps. La bouche est près de son visage. Les lèvres sont à deux doigts de s’y poser. Lou pense : « Pas la bouche. » Elle resserre ses lèvres l’une contre l’autre. Elle ne veut pas recevoir la langue de lhomme. Elle n’aime pas la langue de lhomme dans sa bouche. Le goût de la langue, la texture de la langue …

Les lèvres se posent sur ses joues. Elles embrassent. Se déplacent sur les paupières fermées. Lou frémit. Le front. Les cheveux. Puis redescendent sur le menton et se dirigent vers la bouche. « Pas la bouche. » implore Lou dans un effroyable silence, sans mot, sans aucun mot prononcé. Une larme monte à ses yeux. La langue cherche à s’insinuer, à pénétrer, à s’infiltrer.
Les yeux de Lou sont humides. Une larme a percé qui coule maintenant le long de sa tempe. Lhomme ne voit pas les larmes. Ou il n’y prête pas attention trop absorbé qu’il est par son ouvrage qui est de pénétrer la bouche de l’enfant.
Il lui parle, doucement, il caresse le visage, fin et lisse.
Bientôt la mâchoire se détend,. bientôt lhomme insinue ses lèvres dans l’interstice des lèvres. Bientôt Lou sent la langue contre sa langue.
La langue de lhomme s’enroule en volutes autour de la langue de Lou.
Sa main sur le corps de Lou. Sa main sur le sexe du corps de Lou, la main qui caresse, pourrait-on voir si l’on regardait.
Mais Lou est absente. Lou est morte. Lou n’existe plus. La raison de Lou a défailli. Lou a coupé en elle le chemin de la mémoire.
Lou ne se souviendra pas. Elle ne se souviendra plus ….

Plus tard, Lhomme se lèvera. Il quittera le lit. Il quittera la pièce.
Salle de bains.

Le corps de Lou s’endort à son tour.

Lhomme était le père de Lou.
Je pleure.

@ suivre
Le 7ème épisode de « L’Histoire de Lou » sera mis en ligne le dimanche 10 mars à 10h.

L’Histoire de Lou (5)

5ème épisode : Outing

Petit intermède anachronique d’une opération d’outing, rondement menée !

Christelle est une ex « bonne copine » de Lou.
Christelle, à la différence de Lou était clairement outée. Plus exactement, Christelle avait une âme de militante, elle s’affichait volontiers comme une « Femme Trans » et rajoutait à ceux qui voulaient bien l’entendre : « et les mecs que ça débectent, ça me met en transes ! »

Christelle avait un franc parler, « un peu trop de testostérones ? », la taquinait Lou, et n’hésitait pas à monter au créneau quand on « touchait à ses Valeurs ».

Elle était également un tantinet provocatrice et Lou, en s’invitant chez Christelle avec Philippe avec lequel elle avait une relation … naissante, savait qu’elle « prenait un certain risque ». Elle ne fut pas déçue !

La première heure se passa correctement, enfin .. sans heurts, puis Christelle entama un de ces sujets fétiches : la transphobie !
S’adressant directement à Philippe et de but en blanc elle lui demanda :
« Tu sortirais toi avec une femme trans ? »
Si la phrase était adressée à Philippe, Lou se sentit évidemment visée par cette accroche car, elle, avait choisi un certain « anonymat » ; « la clandestinité » la charriait Christelle !
Cette dernière savait pertinemment que Philippe n’était pas au courant de la transidentité de Lou et Lou eut un léger frisson en imaginant ce que Christelle allait pouvoir faire et dire.
L’alcool aidant, Christelle adorait le rosé de Provence, et Lou en avait précisément amené deux bouteilles, dont l’une était déjà terminée, l’alcool aidant, donc, Christelle continua.
« Tu en penses quoi, Philippe, toi ?
– Oh, tu sais … pour moi … une femme est une femme.
– Tu veux dire que trans ou pas tu t’en fous ? »
Philippe sentit alors ses signaux intérieurs se mettre en alerte ; ceux-ci lui fit répondre :
– Tu sais Christelle, je n’ai aucun avis sur ta vie et tes choix. C’est ok pour moi !
– Et si tu sors avec une femme et que tu apprends plusieurs mois après qu’elle est trans ? » insista Christelle.
« Nous y voilà » pensa Lou ! « Elle ne va quand même pas oser m’outer ! »
– Ce n’est pas ton cas, toi Christelle. », Philippe botta en touche !
– Non ce n’est mon cas : moi je le dis tout de suite, tu vois. Les mecs je leur dis tout de suite que je suis une femme trans … et que les
– … mecs que ça débecte, ça te met en transe » termina Lou
– « Exact tit’ sœur ! … » puis, s’adressant à Philippe.
« Pour être plus claire,
ouille
Toi, Philippe, par exemple, si tu apprenais que Lou,
Mais je ne lui ai rien demandé à celle-là !
est trans, ça te ferait quoi ?
Elle a osé … quelle garce ! » curieusement Lou se sentait amusée !
– « Comment ça, ça me ferait quoi ? …
– Ben oui, ça te ferait quoi si tu apprenais que Lou est trans ?
– Eh bien je n’en sais rien, d’abord elle me l’aurait dit …
– Et pourquoi elle te l’aurait dit ?
– Ben, je ne sais pas, c’est normal de dire ça !
– Et toi tu lui as dit que tu es d’origine du Cantal ?
– Je ne suis pas d’origine du Cantal !
– C’est pas grave, c’est juste pour l’exemple, tu es de quelle origine ?
– Du Loiret et toi Christelle ? » Philippe cherchait-il à changer de sujet ? C’était mal connaître Christelle !
– « Donc, toi, tu lui as dit que tu es d’origine du Loiret ?
– Ben non, je ne crois pas, mais ce n’est pas pareil !
– Et qu’est-ce qui n’est « pas pareil » ?
– Je ne sais pas … ce n’est pas important pour Lou de savoir si je suis d’origine du Loiret ou du Cantal, pour reprendre ton exemple.
– Et qu’est-ce qui est important alors pour toi de savoir si Lou est trans ou cis ?
– Ou quoi ?
– Cis, cisgenre, quoi, bio, une femme d’origine biologique ! Trans ou cis, quoi, ça changerait quoi pour toi ? »
Oh la la ! Philippe sentait le piège que Christelle lui tendait ! Il réfléchit un instant.
– « Si elle était trans je ne pourrai pas avoir d’enfant avec elle, par exemple !
– ça c’est sûr … » confirma Christelle, « mais de toute façon elle est trop âgée pour en avoir et elle en a déjà trois ! … donc ?
– Donc quoi ?
– Donc en quoi ce serait plus important de savoir les origines biologiques de Lou que ses origines géographiques ?
– Ecoute Christelle, je ne sais pas, moi, je te dis juste que pour moi c’est important, c’est tout !
– Tu ne serais pas un peu obtus, là, Philippe ?! … voir transphobe ? »
Le gros mot était lâché !
– « Non pas du tout …
– Bon, alors si tu n’es pas transphobe, alors, je peux te le dire : Lou est trans ! …. Voilà, c’est dit, c’est posé … et ça te fait quoi là ?
(Un temps)
– Ben je ne sais pas …. Rien, je crois … »

Et pour terminer, Philippe de conclure : « De toute façon si elle avait été trans, elle me l’aurait dit. »
« Elle est lourde ta copine ! »

@ suivre
Le 6ème épisode de « L’Histoire de Lou » sera mis en ligne le dimanche 3 mars à 10h.

L’Histoire de Lou (4)

4ème partie : Le corps de Lou

« Mon corps n’est pas ce que je voulais qu’il fut …. Et même si je faisais tout ce qu’il y aurait à faire, je ne sais même pas s’il serait à la hauteur de ce que je voudrais qu’il soit. »
Ainsi me parlait parfois Lou de son corps …
Comme un plan raté d’avance, un fiasco pré-annoncé, une inutile quête ?
« Non ce n’est pas cela, mais quoique je fasse, je garderai en moi la trace de mes expériences masculines, jamais je n’aurai eu une adolescence de fille, jamais je n’aurai porté mes enfants, etc… Sur cela, il n’y a rien à faire … »

Parfois, dans ses mauvais jours Lou se mettait à douter de tout. Elle trouvait sa transition vaine, ses efforts inutiles, et tous ses succès dérisoires …
Dans ces cas là, je me taisais ; il fallait la laisser dire …

« Mon corps, bien sûr je lui fais des seins, (merci estréva), bien sûr je lui fais la peau lisse (merci androcur), bien sûr je lui ai enlevé toutes traces de barbe et de moustache (merci Laser man), bien sûr, bien sûr, bien sûr … mais jamais je n’aurai de hanches comme une cis, jamais j’aurai des épaules fines comme une cis, jamais je n’aurais la peau aussi douce que celle d’une cis, et je ne te parle même pas du sexe … »

« Comme une cis’ » était son expression favorite dans ces moments-là.
Mais derrière tout cela, la vraie question, la question fondamentale, la question existentielle de Lou était : « Pourrai-je un jour être aimée comme je suis dans ma globalité ? », évidemment …

Lou n’a jamais eu l’illusion de devenir cis ! Mais paradoxalement je crois qu’en son for intérieur, elle avait le souhait, le désir caché que son corps puisse comme « faire illusion ».
Avoir une relation amoureuse et sexuelle avec un homme et conserver le choix, la liberté de lui dire ou de ne pas lui dire sa transidentité, telle était finalement son aspiration profonde.

Ainsi, c’est à l’époque lors de laquelle Lou s‘interrogeait encore sur l’opportunité ou non de la chirurgie génitale que ses doutes furent les plus présents, les plus lancinants.

« A quoi ça servirait d’aller à l’autre bout du monde, de prendre le risque d’une opération lourde, de me taper six mois, voire un an de galères post-op, si au bout du compte, ça continue pareil ? L’insatisfaction de ne pas pouvoir vivre la femme que je suis parce que, seule, nue, devant mon miroir, dans ma salle de bain, je douterai encore … Ne verrai-je pas toujours les traces de cette masculinité dont je veux me débarrasser, les marques indélébiles d’une chromosomie inversée ?
Et puis, tu sais, la SRS, ça ne fait pas tout, je connais plusieurs filles qui doivent continuer les anti-androgènes parce que malgré l’opération ça testostérone toujours. Il est fort possible que je n’aie même pas la satisfaction d’arrêter l’androcur ou le finastéride dont les effets néfastes à long terme restent discutés. »
Oui, c’était un mauvais jour !

Mais parfois c’était tout le contraire !
J’appris à reconnaître chez Lou, les fluctuations, les mouvements, comme des sinusoïdes.

« J’ai tellement envie de me sentir unie dans mon corps. J’ai tellement envie de sentir cette harmonie. Me sentir complète, tu vois !
Et curieusement, vois-tu, je n’ai rien contre mon sexe. Je lis des témoignages de filles qui depuis toujours, ou tout au moins aussi loin qu’elles s’en souviennent, ont une espèce de rejet, d’aversion vis à vis de leur sexe mâle. Moi, non. J’ai juste envie d’être femme, entièrement femme.
Une femme avec un sexe d’homme c’est un gnome, ni homme, ni femme. Chaque fois que je regarde le reflet de mon corps dans le miroir, ce sexe me paraît incongru, inapproprié. Il me rappelle cette ambivalence, même si je ne lui veux pas de mal !
Et tu vois, je suis heureuse de savoir que c’est la transformation de celui-ci qui crée le sexe féminin ! Une inversion en somme, c’est du reste ainsi qu’ils l’appellent ! Mon sexe sera toujours mon sexe, il aura juste une forme différente, une apparence adaptée à mon genre !
Et puis, tu sais, ce n’est pas dans dix ans que je pourrai me décider. Dans dix ans ce sera trop tard ! Bien sûr l’opération c’est sans retour, inexorablement sans retour, mais la non opération également ! Si je ne me décide pas dans les quelques paires de mois qui viennent, après je ne pourrai plus le faire ; médicalement je ne pourrai plus le faire.. La « non décision » est donc elle-même sans retour ! « Vaut-il mieux avoir des regrets ou avoir des remords ?» me questionnait Celia !! »

Dans ces moments-là Lou aurait été prête à prendre illico son billet pour Bangkok ou Montréal ! De mon côté, j’avais appris à la connaître, et je savais que même si elle n’en disait rien dans ces moments de doute ou ces moments d’enjouement, Lou attendait qu’à l’intérieur d’elle cela se calme. Il lui fallait trouver le juste apaisement. Elle savait qu’alors la solution émergerait. Et là-dessus, elle n’avait aucun doute !

Au-delà de l’apparence de son corps, au-delà du genre de son sexe, au-delà de ses choix, Lou cherchait à définir la Femme qu’elle voulait vivre, et donner à celle-ci le corps qui lui paraitrait le plus adapté en fonction de sa réalité propre et des possibilités qui s’offraient à elle. Lou était donc en chemin. Le chemin de sa trans-formation.

@ suivre

Pré-Hop ! Quelques réflexions avant une SRS

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D’abord, je ne suis pas née dans le mauvais corps

Je suis une femme trans. Je suis une trans pré-op. C’est à dire pas encore opérée. On dit pré-op ou post-op pour dire où l’on en est de l’opération de changement de sexe, la réassignation sexuelle, la vaginoplastie en ce qui me concerne, la SRS, Sex Reassignation Surgery. On peut dire non-opé quand on a pas l’intention de se faire opérer. Abus de langage car je ne suis pas pré-op de partout. Je suis déjà post-op du visage. J’ai fait une opération de féminisation faciale, FFS, Facial Feminisation Surgery. Et le visage ça peut sérieusement vous coller une étiquette homme ou femme. C’est important pour le genre le visage. Mais bon, quand on parle d’une trans opérée ou pas, on ne parle pas du visage on parle du sexe. Il faut croire que même pour les trans le plus important c’est le sexe 😉

Je pars à Bangkok la semaine prochaine pour faire cette vaginoplastie. Pourtant, je ne considère pas être “née dans le mauvais corps”, mais j’estime plutôt avoir été assignée à la naissance dans le mauvais genre, en fonction de la loi qui aligne systématiquement sexe et genre. J’entends souvent des trans témoigner en avançant cette idée d’être “née dans le mauvais corps”, ou bien d’être depuis toujours “prisonnière de leur corps”. Ce n’est pas ce que je ressens.

C’est la volonté de m’adapter et de me fondre dans mon environnement qui fait que je modifie mon corps et mon apparence. Dans les moments où je suis seule, je ne me sens pas de genre particulier. C’est bien socialement que je ne supporte pas le rôle d’homme, et que je me sens comme une poissonne dans l’eau en tant que femme. Ce n’est pas un conflit entre mon corps et mon esprit, mais un conflit entre le rôle social qu’on m’a collé et celui que je veux jouer. La pensée queer qui m’accompagne m’aura aidé à comprendre que le genre est une performance réitérée : je me maquille presque tous les jours ! Je me ressens femme socialement et pas biologiquement. Je n’attends aucune transformation biologique de mes opérations et de mon traitement hormonal, juste une apparence. Mon taux féminin d’estradiol dans le sang, ma testo à zero ne me mettent pas en joie. L’évolution de mes seins ou des courbes de mes hanches, si. Les traits de mon visage transformé m’ont aussi changé la vie. La notion de passing ne me gêne pas. Je me fais passer pour femme comme les métisses se faisaient passer pour blancs dans les régimes racistes (c’est l’origine du terme passing). Et c’est en me faisant passer pour femme que je  deviens femme. C’est performatif.

J’ai divers outils à ma disposition pour réaliser cette performance : la prise d’hormone et d’anti-androgène, des interventions chirurgicales sur mon visage et mon sexe, l’épilation définitive de ma barbe, la rééducation de ma voix, le remplacement total de ma garde robe, la construction d’un comportement social différent, d’une démarche différente, de gestes différents, voire d’un état d’esprit différent. Les transformations s’opérent quelquefois sans même y penser. Les habitudes se prennent. C’est comme d’apprendre à conduire une voiture. Au début on se concentre et on perd les pédales et après on fait ça sans même y penser. Tous ces efforts, conscients ou pas, je ne les produis pas en vue de faire correspondre mon corps à une vérité intérieure. Je n’ai pas dans l’idée que mon essence féminine serait contredite par mon corps, la faute au Créateur en somme. Non, je ne répare pas une erreur de la nature, je répare une erreur de l’état civil à mon égard. Comme il faut tout faire soi même pour réparer les conneries des autres, je modifie mon corps pour le conformer autant à mon attente qu’à l’attente sociale. Je veux être considérée comme une femme, car c’est dans ce genre que je me sens bien. Je ne prétends pas pour autant pouvoir complètement expliquer mon aspiration au genre féminin, ou le sentiment de rejet profond que j’ai de mon genre masculin. Tout cela est lié à mon histoire et je ne me souviens pas de tout les détails. La mémoire m’en revient progressivement, je retrouve des petits cailloux que j’avais laissé sur mon chemin, des traces de mon désir de quitter la sphère masculine et de rejoindre la sphère féminine jalonnent mon parcours depuis l’enfance.

Je ne crois pas que la biologie me détermine, mais que la société a déterminé mon genre en fonction de ce qu’elle a su de ma biologie et que c’est très violent de devoir obéir à cette injonction quand ça ne vous correspond pas. Genre et sexe c’est pas pareil, on est d’accord là dessus j’espère ? Sinon renseignez-vous avant de continuer à me lire !

“être née dans le mauvais corps” ne peut se traduire pour moi que comme “être née dans un corps (mâle) qui a conduit l’état à m’assigner dans un mauvais genre (homme)”. Je n’ai pas de ressenti d’une femellitude intérieure. Même après vagino je ne pense pas que je l’aurais ! J’ai possédé les traits sexués mâles suffisants pour jouer un rôle mâle dans le mécanisme de la reproduction. Je ne nie pas cela. Il ne s’agit pas pour moi d’un déni biologique, mais de considérer que ma biologie ne me détermine pas.

Ne me demandez pas de croire que je suis vraiment une femme, je n’ai jamais été vraiment un homme.

Une trans opérée avec laquelle j’ai discuté récemment me disait que depuis toujours son corps mâle lui posait problème et lui en pose encore post-op, parce que ce corps mâle ne lui permettait et ne lui permet toujours pas de vivre dans le genre féminin qu’elle désire. Elle a résolu le problème en partie avec sa SRS. En partie seulement. Elle est une femme maintenant pour tout le monde, y compris pour ses amants tant qu’elle ne se oute pas, sauf peut-être pour elle-même. Pour elle, le genre féminin ne s’arrête pas à être une femme en apparence et dans la sexualité, mais s’accomplit aussi dans la maternité. C’est un absolu. Celui de la reproduction. Que cela soit son malheur en cela elle rejoint nombre de femmes stériles pour diverses raisons.

Pourtant, le fait de ne pas pouvoir avoir d’enfant ne la rend pas moins femme, sauf si elle est convaincue du contraire. Pour éviter d’en souffrir, nous renonçons à tout ce que permet un corps féminin cisgenre fertile et que nous n’aurons jamais. Nous essayons de profiter de ce sur quoi nous pouvons agir, l’apparence, le social, un corps féminin trans. Enjoy ! Les boudhistes disent “Quand il n’y a pas de solution, il n’y a pas de problème”. J’essaie de ne pas me rendre malheureuse à tenter de changer des trucs que je ne peux pas. Il y a assez de problèmes avec les choses sur lesquelles on peut agir. C’est vrai qu’on peut se rendre malade quand on ne parvient pas à être satisfaite dans le genre que l’on ressent, parce qu’on ne posséde pas le corps idéalisé que l’on désire. Que l’on considère que pour avoir le genre, il faut avoir le corps, ok, mais dans la limite du techniquement possible.

Pourquoi se rendre malade en désirant des trucs qui n’existent pas en réalité ? Personne ne sait définir ce qu’est vraiment un corps mâle ou un corps femelle, à part le Bureau central de contrôle de la féminité du Comité international olympique qui prétend déterminer à coup sûr qui est femme et qui est homme, c’est beau la science ! Les intersexes sont la preuve vivante de l’infinité des variations possible entre les corps sexués. Nous sommes tous des intersexes dans le sens où nos caractéristiques sexuées sont une affaire de dosage, pas une affaire de polarité.

En vérité je vous le dit : ni le corps mâle, ni le corps femelle n’existent, ni le genre masculin, ni le genre féminin n’existent. Tout ce qu’on peut observer sur le corps, ce sont des traits sexués à dosage variables, et pour le genre une différenciation exacerbée artificiellement, pour faire croire qu’il y en a deux et qu’on doit choisir. Moi, je suis gentille et j’ai pas envie de m’expliquer en permanence, alors je choisis femme parce que je le vaux bien et que ça correspond profondément à l’endroit où je me sens à ma place, peace, zen, bien dans mes baskets. Mais ne me demandez pas de croire que je suis vraiment une femme, je n’ai jamais été vraiment un homme (je reprends ça de Kate Bornstein). Je ne sais pas me définir, je suis pas médecin du C.I.O. , moi. Croire à la réalité de la nature qui fait les garçons et les filles, quand on est trans, c’est des coups à se rendre malade effectivement.

Même les trans normatifs explosent la norme de genre

C’est la loi naturelle qui s’applique aujourd’hui. Non écrite mais largement acceptée comme norme, la loi naturelle dit qu’on est homme ou femme, êtres complémentaires créés par la Nature ou Dieu, c’est la même chose, altérité magique douée de la capacité de se reproduire, born to reproduce. La loi naturelle passe sur le fait biologique même. Le contre exemple flagrant des personnes intersexe vient la contredire en pleine poire.

Avec les intersexes, les trans dérangent la loi naturelle qui proclame le sexe et oublie le genre. Cette fusion sexe et genre créé par la culture explose avec les trans, qui refusent le lien entre leur corps sexué et leur genre. Tous les trans sont mal à l’aise avec le genre social qu’on leur a assigné à la naissance, en fonction de leur appareil génital visible. A partir de ce constat, les raisons que les trans invoquent sont diverses : certaines refusent de parler de genre (Note : par commodité de rédaction, je vais employer “elle” et parler des trans filles car c’est ce que je connais mieux, mais ça peut s’appliquer aux garçons s’ils se reconnaissent dans ce que je raconte). Celle qui me dit : “Je suis mentalement une femelle dans un corps de mâle” estime que son corps mental ne correspond pas à son corps réel. D’autres comme moi estiment plutôt que leur corps masculin ne correspond plus au genre féminin désiré. Quoi qu’elles avancent comme causes de leur transidentité, les trans remettent de fait toujours en question ce lien entre corps et genre.

Mais les trans ne vivent pas hors du temps et de la culture. Elle n’échappent pas à cette loi naturelle. Elles-mêmes sont bien souvent perturbées par l’absence du lien entre leur sexe et leur genre. Elles cherchent donc parfois à recréer le lien entre leur genre et leur corps, pour être reconnues dans le genre qu’elles ressentent ou désirent, par les autres et par elles mêmes.

Quand on est trans, on ne nait pas femme, on décide de le devenir

Quand on est trans on décide de devenir femme et c’est là que ça coince. Car cette décision, une femme cisgenre n’a pas à la prendre. Elle devient femme sans le décider. Il lui suffit d’accepter le genre qu’on lui a assigné. De suivre le mouvement qui s’impose de l’extérieur et qu’accompagne son développement biologique. Par contre, le genre ne survient jamais par défaut quand on est trans, malgré l’espoir de certaines qui ont eu pendant leur enfance l’illusion qu’elles allaient devenir femmes à la puberté de façon magique. Cela n’arrive pas et la prise de conscience est parfois douloureuse. La voix qui mue, les poils qui poussent et tous les effets de la montée de testostérone vous mettent alors le moral dans les chaussettes. Il faut agir consciemment pour devenir “celle que l’on est”. La performance de genre on sait ce que c’est quand on est trans. Et c’est parfois difficile de sentir cette différence avec les cisgenres qui ne se posent pas la question de la légitimité de leur genre. Les trans décident de changer de genre – et parfois de sexe – en fonction de perceptions plus ou moins conscientes, de ressentis intérieur plus ou moins reliés à des évènements identifiés. Mais expliquées ou pas, ces perceptions extrêmement fortes les poussent à décider un jour d’entamer une transition. C’est souvent une affaire de survie, et il faut bien ça pour se lancer dans une telle course d’obstacle. Il reste une insatisfaction difficile à combler : les trans ne vivent pas toujours très bien l’obligation qu’elles ont eu de devenir femmes par la force de leur volonté. Elles apprécieraient que le genre soit un truc qui les dépasse, magique, essentiel, transcendental, naturel, divin ! Marre de porter le chapeau, de devoir se justifier par la raison quand il s’agit de ressenti. Leur parcours de transition s’achève avec le soulagement de n’avoir plus à déployer une telle énergie pour devenir femme, et cette quête d’un aboutissement, souvent représenté par la quête du vagin, correspond à une envie de vivre l’inconscience tranquille des femmes cisgenres. Je n’ai jamais été jalouse du corps des femmes, mais je jalouse encore leur inconscience à s’incarner dans un corps féminin.

Vouloir un vagin, c’est essentialiste ?

Quand on est trans et que l’on croit aux fadaises naturalistes d’atteinte d’un idéal féminin par la vaginoplastie, pourquoi alors se lancer dans la fabrication de cet ersatz ? Et quand on y croit pas, pourquoi vouloir un vagin le plus naturel possible ? Est-ce que ce désir de vagin est une forme de soumission aux thèses essentialistes ? La volonté de rejoindre une essence féminine dont le symbole le plus fort serait le vagin ? La plupart des femmes ont un vagin. De là, s’est ancrée dans les consciences l’idée fausse que quand il n’y a pas de vagin, il n’y a pas de femme. Est ce que je veux un vagin parce que je pense qu’une vraie femme en a un ? Non, car il faudrait aussi que je crois qu’un néo-vagin est un vrai vagin, alors qu’on voit assez vite que ça reste un bricolage de chirurgien. Il y a a une autre idée fausse qui surgit alors :  “Si je ne suis pas naturelle, biologique, je ne suis pas une vraie femme donc je n’ai rien à faire d’un faux vagin”. Mais toutes ces idées sur la nature induisent qu’il existe de vraies femmes, et nous replonge dans le récit essentialiste. Une trans n’est pas plus vraie ou fausse qu’une femme cisgenre, dès lors qu’on considère le genre feminin comme le résultat socialement visible d’une détermination sociale, si l’on part du principe qu’il n’existe pas d’essence feminine qui trouverait sa vérité dans le vagin. Le vagin ne fait pas la femme, une femme – qu’elle soit trans ou cisgenre d’ailleurs – peut avoir ce qu’elle veut ou ce qu’elle peut entre les jambes, elle n’en sera pas moins femme. Il s’agit seulement d’autodéfinition de son genre. Je vous déclare que suis une femme, et cela rend la chose vraie, sans autre preuve à fournir. Je pourrais en rester là et je n’en serais pas moins une femme. Mais je décide de m’approprier certains traits de la féminité que je désire pour moi. J’aide cette acceptation de mon genre désiré pour moi et pour les autres en travaillant mon apparence. Je pioche et je m’approprie certains codes de genre convenus. J’autodétermine mon genre et me construis socialement comme je le ressens.

Je veux que l’on me fabrique un truc qui ressemble à sexe féminin, qui fonctionne à peu près pareil. Je sais qu’un néo-vagin a peu à voir avec un appareil reproducteur femelle, je ne le fais pas pour la reproduction mais pour construire à cet endroit de mon corps la féminité que je désire.

Je n’attends pas de l’opération qu’elle me rende plus femme que je ne le suis déjà. Avec mon vagin, je ne serais pas plus femme que je n’ai été homme avec mon pénis. J’ai été masculine et même très virile, avec des poils partout. Je serai féminine dans un type de féminité que je décide et qui pourra évoluer.

Ma transition est une construction consciente et je suis preneuse de toute la technologie disponible. De la même façon que j’ai composé ma garde robe féminine, composé mon comportement féminin, cherché, trouvé et travaillé ma voix féminine, je construirai mon vagin.

Je ne sacralise pas spécialement cette partie de mon corps plutôt qu’une autre. Je souhaite que mon corps corresponde à ce que j’ai envie d’exprimer et de vivre socialement par mon apparence.

Non à l’abolition de la transidentité

Pour certaines, si la transidentité était reconnue socialement, si on pouvait librement exprimer son genre, on n’aurait plus besoin de faire des transitions, plus besoin de procéder à une quelconque modification de son apparence, plus besoin de recourir à la chirurgie ou aux hormones, la transidentité disparaîtrait. Le genre disparaîtrait. Comme disait ma mère : “Si ma tante en avait on l’appellerait mon oncle”.

Dire que les normes et les lois nous imposent des parcours de transition au fond non désirés, c’est nier la capacité d’agir de chaque personne. Même si le genre est social, il y a une part de représentation de soi à soi qui compte. J’ai besoin d’être une femme pas seulement pour les autres, mais aussi pour moi, pour le seul plaisir de décider de la case dans laquelle je me mets. Je déclare être une femme. Je le décide. J’abolis non pas le genre mais je refuse d’être placée dans le mauvais genre, la mauvaise case. Je construis une certaine féminité trans, qui est la résultante d’un parcours de vie, d’un passé masculin. C’est un parcours singulier, à côté d’autres qui créent de nouveaux genres, nous construisons n genres et ne souhaitons en abolir aucun. Je ne crois pas et n’appelle pas à la disparition du genre, même si la disparition de sa mention binaire sur les papiers d’identité ne me tirerait pas de larmes.

On ne connait pas la source de la transidentité, ce besoin de transformation. C’est un sentiment profond. Dire qu’on y peut rien et que la société doit l’accepter, nous respecter par l’égalité des droits, je suis d’accord. OK. D’accord c’est pas  notre faute si nous sommes trans. C’est un machin qui vient d’on ne sait où. Mais ça n’explique pas la part de refus des normes qui nous anime. Quelle est la part de jeu, de désir et de plaisir de sentir la liberté humaine de conduire sa vie, d’agir sur son corps ?

La justification du désir

Il y a des personnes, qui aspirent à l’ablation d’une partie saine de leur corps. Il s’agit souvent d’un besoin impérieux d’être amputé d’un membre ou de plusieurs pour faire correspondre son corps à une identité corporelle ressentie. La médecine bien entendu en a fait une maladie mentale classée dans les perversions sexuelles. Une paraphilie parmis d’autres. Philie, c’est que ces personnes aiment ça, que c’est un choix, un fétichisme. Quand la médecine condescent à admettre que ça correspond à un besoin vital c’est parce que la personne qui souhaite l’opération leur pipote que le truc les dépasse, que la pulsion est plus forte que leur volonté. C’est énorme de vouloir se faire sauter une jambe. Ça fait froid dans le dos. Les psys voudraient supprimer le désir plutôt que de supprimer le membre, et là on a tendance à se dire que ça serait quand même mieux au fond. Mais ces personnes ne sont pas plus malades que les trans, et ne ressentent pas la suppression d’un membre comme une mutilation, mais comme le retour à un schéma corporel dans lequel ce membre n’a pas sa place. Pour eux comme pour les trans il s’agit d’un besoin puissant d’atteindre un corps désiré. Ils vont devoir convaincre les médecins car se défaire d’une jambe de trop en solo c’est pas gagné. Certains vont jusqu’à provoquer des lésions au membre qu’ils veulent voir disparaître, en le faisant geler dans la neige par exemple, alors que ce sont des personnes saines d’esprit.

On sait que des trans ont quelquefois des parcours qui passent par l’automutilation, des désirs de pénectomie, et les trans sont pourtant des personnes tout aussi saines d’esprit (enfin en moyenne pas moins que les cisgenres). Ces gestes désespérés ne sont pas le symptome d’une pathologie, mais la conséquence du refus des médecins d’opérer. Pourquoi doit-on justifier le besoin vital d’une opération par des argumentations essentialistes : “Je ne sais pas d’où cela vient”, “C’est inné”, etc. ? Pour convaincre les médecins, nous devons reproduire ce discours qui raconte que nous sommes impuissants devant l’action d’une puissance supérieure qui contrôle nos désirs, et que seule la force de leurs super-pouvoirs de médecin sera capable de la vaincre pour nous. Finissons-en avec les justifications mystiques de nos désirs de changements corporels, alors que notre raison peut expliquer ce désir simplement par l’exploration de notre vécu, de ce que nous avons acquis et compris. La transidentité n’est que désir, c’est le refus du désir par ceux là même qui peuvent le satisfaire qui provoque les souffrances qui ensuite nous rendent malades, dépressifs ou suicidaires. Un désir peut-être impérieux et doit être reconnu. Un apotemnophile – on dit comme ça dans la nosologie – opéré est un apotempnophile heureux ! S’il est trans en plus il a de quoi s’amuser !

Je n’ai pas de problèmes existentiels à avoir une bite plutôt qu’une chatte, mais des problèmes pratiques

Au début de ma transition j’étais tellement anti-essentialiste que pensais pouvoir rester une femme à bite. L’idée ne me dérangeait pas, voire me séduisait. Je ne trouvais pas de raisons valables à mon désir de changement de sexe. J’intériorisais en quelque sorte l’essentialisme puisque les raisons pratiques ou le désir que j’éprouvais ne me suffisaient pas à prendre la décision. Après réflexion, j’envisage la chirurgie. Je vais lister les quelques raisons qui me poussent à la vaginoplastie :

–       Pour moi qui recherche à terme l’invisibilité, je considère que d’avoir un vagin rend ce désir plus accessible. Je n’aurai plus à pratiquer le tucking, technique consistant à repousser les testicules dans le corps et à replier le pénis en arrière entre les jambes. Ce n’est pas toujours archi-confortable, et il reste toujours une bosse disgracieuse entre les jambes. Enfiler une culotte est malcommode, car pas conçue pour contenir tout ce matos, et il y a nécessité de maintenir l’ensemble par divers moyens, moi j’utilise un panty moulant, ce qui en été est pénible. Quelquefois la compression se fait douloureuse et on a pas toujours le moyen d’y remédier très vite : il faut aller aux toilettes pour remettre les choses en place. J’ai été obligée l’été dernier de comprimer mon sexe à chaque fois que je voulais enfiler un maillot de bain pour aller à la plage ou à la piscine, et encore des parties de testicules apparaissaient à l’aine, je n’étais pas à l’aise.

–       Avoir un vagin c’est retrouver une libido satisfaisante. Je prends aujourd’hui des œstrogènes féminisantes et des anti-androgène dévirilisantes, qui bloquent la production de testostérone. Le problème des anti-androgènes c’est qu’ils suppriment complétement la libido. La production de testostérone se fait dans les testicules. La vaginoplastie en supprimant mes testicules supprimera aussi la nécessité de l’anti-androgène et du coup je retrouverai une libido et, cerise sur le clito… un organe sexuel fonctionnel, du moins je l’espère.

–       Avec une vagino j’obtiendrai un état civil conforme à mon genre. La procédure est en cours et la présidente du tribunal à clairement posé comme condition la réalisation de cette opération. Je décide d’obéir aux ordres.

Construire mon corps, fabriquer ma sexualité

Avec mon opération, je veux construire une nouvelle sexualité avec ma partenaire puisque c’est possible. La relation sexuelle est aussi une relation sociale, et elle se s’élabore comme le reste. J’essaie de ne pas mettre de la magie dans ma transition. De ne pas fantasmer le vagin. Je n’attends pas d’une SRS qu’elle soit un aboutissement, l’atteinte d’un état extatique, l’accession au bonheur. Mon bonheur d’avoir un vagin ressemble plutôt au bonheur de la possession d’un nouvel objet matériel convoité. Si il est question de magie comparons cela à la magie de Noël ! J’ai le sentiment d’être la veille de noël quand j’étais enfant et que j’attendais mes cadeaux. J’espère que j’aurais toujours les moyens de m’offrir les meilleurs jouets. Un néo-vagin c’est quand même un super sextoy, hors de prix d’ailleurs, sur ce plan purement commercial aussi on pourrait progresser afin de réduire les coûts !

Même si je dis que je ne suis pas née dans le mauvais corps, ça ne veut pas dire que je n’ai pas eu des problèmes avec mon corps mâle. J’ai rejeté ce corps masculin tout au long de ma vie sexuelle, et c’est le trouble dans le sexe qui m’a finalement amené à réfléchir à la question de mon genre, après bien des errements. Maintenant que je suis une femme socialement et que ça va beaucoup mieux merci, il me gêne de plus en plus ce pénis.

L’envie d’avoir un vagin correspond aussi à un désir de sentir un creux plutôt qu’un plein dans les jeux de pénétration, d’être pénétrée vaginalement plutôt que de pénétrer. Je veux, si c’est possible, jouir de cette sensation. Bien avant de découvrir ma transidentité, j’inversais le sens de la pénétration dans ma tête et ce n’est qu’en m’imaginant pénétrée que je jouissais. C’était très cérébral comme exercice, et assez frustrant. Je voudrais quitter un tant soit peu cette cérébralité pour l’éprouver dans mon corps. Mais la pénétration n’est pas ce qui me préoccupe le plus. Je veux sentir mon clitoris à l’intérieur de moi, au plus près de mon corps et pas au bout d’un appendice, loin de moi.

Je n’ai certainement pas inventé ces désirs, ces fantasmes, pourtant ils sont en moi. J’ai intériorisé des schémas excitants de relation sexuelle en étant une femme dans ma tête. Je veux l’être le plus possible dans mon corps.

La technologie de changement de sexe

Tout n’est pas possible. Les technologies sont balbutiantes et aucun effort n’est fait pour rechercher des solutions un peu plus performantes pour les changements de sexe et c’est encore pire pour les mecs trans, comme par hasard. Beaucoup de parties du corps restent marqués par l’action de la testo. Les hormones permettent de revenir en arrière jusqu’à un certain point, mais il y a des limites. Il y a une foule de choses qu’on ne sait pas modifier, du moins quand la testostérone a fait son effet après la puberté. Le squelette c’est compliqué, même si certaines retouches sont possibles : on peut retirer des côtes, on peut retoucher la structure osseuse de la face, on ne peut pas réduire la taille des mains. Aucune recherche n’est faite pour mener des recherches afin d’améliorer les techniques. Tout est bricolage. Les endocrinologues prescrivent des traitements hormonaux qui en réalité ne sont pas fait pour cela, mais pour les femmes ménauposées et les délinquants sexuels.

L’ampleur du business de changement de sexe en Thaïlande fait qu’ils sont moins à la traine là-bas qu’ailleurs dans le monde. Concurrence oblige. Mais même le meilleur de la technologie disponible est aujourd’hui très limité. On ne sait pas recréer l’appareil de reproduction : la vagino crée la salle de jeu, mais pas la nurserie ! Il s’agit donc d’être réaliste et d’agir dans un contexte donné, de composer avec une réalité assez pauvre, de faire avec l’état de l’art et de la science, c’est à dire pas grand chose. Il faut voir ce qui est faisable et peser les risques. Je ne donne à un chirurgien le droit de transformer mon corps que si j’ai confiance et que je peux raisonnablement avoir une idée du résultat à l’avance. J’essaie de garder le contrôle sur mon corps et de ne pas devenir un objet dans les pattes des médecins. J’ai la chance de pouvoir échapper à la transphobie de classe représentée par les équipes hospitalières prétendument officielles. J’échappe à leurs parcours psy d’une violence inouïe et à la médiocrité – pour ne pas dire plus dans certains cas – de leurs résultats opératoires.

L’opé

Ça consiste à transformer mon sexe mâle en sexe femelle. Selon la compétence du chirurgien l’aspect et la fonctionnalité de ce néo-vagin sont bonnes. Presque tout est utilisé et on peut dire que le pénis est démonté puis remonté en vagin. L’opération pourrait se comparer dans la phase de démontage au retour à un stade embryonnaire d’indifférentiation sexuée, au stade des gonades, quand l’action des hormones n’a pas encore influencé le développement de l’appareil génital dans une direction ou l’autre. Le gland peut alors devenir clitoris, la peau rose et tendre de l’intérieur du prépuce devient capuchon du clito et petites lèvres, la peau plissée du scrotum devient grandes lèvres. C’est un vrai travail de dentelière. La majeure partie du corps caverneux est balancé, mais je ne doute pas qu’un jour on en fasse quelque chose, peut-être lorsqu’on aura admis qu’un clitoris est autre chose qu’un petit bouton et que les femmes elles aussi ont un corps caverneux érectile. Exit aussi l’éjaculation, alors qu’une femme cisgenre à cette possibilité. On jette aussi les testicules, quel dommage ! à quand des greffes pour les FtM, qui refileraient d’autres trucs aux MtF, dans une grande bourse d’échange biocompatible ?

J’ai lu pas mal de témoignages sur les opés, les chirurgiens, les techniques. Une copine m’a montré sa néo-foufoune. Ça va, je me lance.  Ce que j’aurais techniquement sera un néo-vagin, pas un vagin, mais si j’ai envie de l’appeler mon vagin je vais pas m’en priver. Ça fait belle lurette que je n’ai plus un gland, mais un clito, mal placé, mais un clito quand même.

Je suis out “si je veux, quand je veux”.

Je ne suis pas née dans le mauvais corps mais je vais faire une vagino. J’ai dit pourquoi. Ma copine se ferait bien enlever les seins parce que c’est lourd et encombrant. Elle ne se sens pas mec donc elle a pas le droit de les enlever complètement, elle a juste pu les faire réduire mais les enlever c’est interdit pour une femme qui n’a pas un cancer. Il faut entrer dans le circuit « trans » et elle n’a pas envie. Moi de mon côté j’ai mille fois plus envie d’être fille socialement qu’elle a envie d’être un mec.

Mais revenons à ma bite. Ou plutôt mon ante-vagin. Je vais faire remodeler ma bite en forme de vagin pour des raisons pratiques : passing en maillot de bain, arrêt de production de testostérone, construire une autre sexualité, avoir des papiers. Alors certes, cette envie de passing, ce désir d’une apparence féminine du corps par les hormones, la sexualité comme-ci ou comme-ça, je ne l’ai pas inventé toute seule. Au début, à ma naissance je n’y pensais pas tellement. Je ne dirais pas que c’est le méchant état binaire qui me l’a imposé (quoique c’est vrai en partie car avoir des papiers conformes ça me branche bien aussi), mais c’est pas le vilain état qui a décidé pour moi.

Je ne dirais pas non plus que c’est un truc inné. C’est plutôt ce qui est “dans l’air”, l’ambiance générale, la norme que j’accepte consciemment ou pas, ce que j’ai acquis depuis toute petite. Les normes ne sont pas les lois. Il y a des lois jamais respectées du fait de la puissance des normes, et pourtant les normes on peut les transgresser sans aller en prison. On ne le fait pas. Pourquoi ?

Les normes ça passe partout, et ce n’est pas un truc imposé d’en haut, c’est horizontal. Elle sont en nous, intériorisées. Nous, les trans, à défaut d’enfreindre les lois, on bouscule un peu les normes. Et on est pas toujours à l’aise avec ça. Du fait de l’intériorisation. Et puis, il faut bien le dire aussi, du fait de la transphobie. L’acceptation des trans est inversement proportionnelle au passing. C’est tout de même plus peinard pour beaucoup de rester au chaud dans le système de genre actuel. Y renoncer full-time c’est un positionnement radical, ou l’impossibilité de faire autrement. On a pas toujours le choix. On a pas toujours le passing que l’on voudrait, mais celui que l’on peut. Après quand on l’a, on peut choisir. On peut décider l’ambiguïté, l’entre deux genre. Niquer les normes, l’annoncer en un acte militant inscrit dans son corps est une posture que je n’ai pas envie de vivre. Faut assumer d’avoir un Post-it collé en permanence sur le front avec écrit “Je fucke le genre”. Moi je veux même des papiers en règle ! Merde alors ! J’ai marché pour ça à l’Existrans !

Foucault disait “Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c’est une morale d’état civil ; elle régit nos papiers. Qu’elle nous laisse libres quand il s’agit d’écrire”. C’est de Foucault, qui était pédé placard tout de même faut pas oublier ça. Pour moi il ne s’agit pas seulement d’écrire et si Foucault était placard ne m’emmerdez pas, j’ai le droit moi aussi à mon passing. Je suis out « si je veux, quand je veux ». Car j’assume aussi d’être publiquement femme trans à certains moment, c’est mon p’tit geste pour la cause… Si on me le demande, je suis une femme, ou une femme trans selon la situation et la personne à qui je m’adresse.

Je vous laisse, mon avion pour Bangkok décolle dans peu de temps. On en reparle… post hop !

Le 29 octobre 2012

L’histoire de Lou (3)

3ème partie : Le Dragon de Lou

Son sexe était « tout dur », tout tendu, une étrange sensation dans ce petit corps, il y avait  quelque chose d’un peu honteux, était-ce la nouveauté de la sensation ? Lou savait que c’était un truc de petit garçon, et elle se disait que tous les petits garçons devaient vivre cela.
Elle était alors en vacances à Aachen, dans une famille allemande. Elle partageait la même chambre que Wilfried. Un petit garçon qui devait avoir un ou deux ans de moins qu’elle. Un jour sur deux, elle l’accompagnait à son école et l’autre elle restait à la maison.

Elle aimait assez cette étrange tension en elle mais elle ne savait pas trop qu’en faire, « c’était assez embarrassant tout de même », une chose était sûre, celle-ci l’occupait tout entière. Ce jour-là, elle regarda cette petite chose roide au centre de son corps imberbe et déambula un temps ainsi toute nue dans la chambre, un peu désemparée.
Puis elle écrivit un long papier à Wilfried dans un allemand approximatif, dans lequel elle lui proposait les règles d’un jeu dans lequel il s’agissait de gages et de vêtements qu’on retirait. Cela lui prit un bon moment. Puis toujours nue et sans que la sensation cesse en elle, elle entreprit de cirer ses chaussures !

C’est lorsqu’elle se trouva ainsi nue, assise au bord de son lit, que Peter, le frère ainé de Wilfried pénétra dans la chambre ; il était de trois ou quatre ans son aîné. Elle fit comme si elle ne le voyait pas et continua impassiblement son entreprise.
Peter venait tout juste pour prendre quelque objet ou vêtement dans la penderie à côté du lit. Peter vit-il le sexe de Lou ? Lou, espérant et redoutant certainement qu’un événement survienne, se concentrait sur son ouvrage.
Peter quitta la chambre.

La famille de Wilfried et de Peter était des protestants fervents. A chaque repas la prière était dite, l’oncle des deux garçons, c’est à dire le frère de leur père, était pasteur.
Quelques jours après l’épisode ci-avant, Lou constata que le papier qu’elle avait écrit à Wilfried et laissé dans la chambre avec l’intension de lui remettre en main propre, avait disparu. Lou suspecta la mère de celui-ci d’être passée par là.
Lou quitta la famille quelques jours plus tard. Personne ne lui reparla de ces épisodes.
Lou, un peu honteuse, souriait toutefois à l’idée des parents jugeant « la petite française » !

Lou me raconta cette histoire, pour m’expliquer ainsi que ce souvenir ancien, elle avait onze ou douze ans, lui montrait que vivre ses pulsions sexuelles avait toujours été pour elle quelque peu problématique.
Ce qui lui était le plus pénible, à ses dires, n’était pas tant le ressenti corporel que la pulsion entraînait, mais plutôt le pouvoir de celle-ci sur sa propre volonté, sur la maîtrise d’elle-même.
« Ces pulsions m’ont toujours fait faire n’importe quoi. »

Plus en avant, elle se souvient, adolescente, de ces heures de marche nocturnes lors desquelles, comme une obsession, elle guettait les voitures sur la chaussée en espérant en son for intérieur, mais sans oser faire le premier pas, qu’un inconnu viendrait la cueillir.

Elle me conta comme, plusieurs années plus tard, s’était-elle agaillardie ? , elle se retrouva ainsi à plusieurs reprises à monter dans des véhicules pour « manger du merle en l’absence de grive » et s’abandonner à des ébats qui ne la satisfaisaient finalement guère et desquels elle ressortait toute aussi seule et tout autant sous l’emprise de sa pulsion que l’aventure n’avait pas su apaiser.

Plus récemment, elle me conta quelques expériences lors desquelles ce désir pulsionnel, « incontrôlable et tyrannique », ce sont ses mots, l’ont amenée à se trouver dans des situations dans lesquelles elle avait pu se mettre en danger. Non pas que le danger ait été alors un élément d’excitation particulier, mais plutôt que ses pulsions anéantissaient ses  propres facultés de discernement et mettaient au rancard ses instincts d’auto-protection.

La dernière en date, lors de laquelle elle se trouva seule à quatre heure du matin dans un terrain vague, loin de tout, avec un inconnu sous l’emprise manifeste de l’alcool, qui s’en prit à elle après qu’elle se soit donnée à lui, lui rappela la mort de Pasolini assassiné en octobre 1975 dans des circonstances non moins troublantes. Cette image du cinéaste qui s’imposa à elle, alors qu’elle s’enfuyait en courant, ses vêtements aux trois quarts arrachés fut comme un déclic pour elle.

Il lui sembla dès lors vital, de se protéger d’elle-même, de cette partie d’elle-même qui l’amenait de proche en proche à vivre des expériences toujours plus fortes, toujours plus risquées, toujours plus dangereuses. Il n’était plus question de ne plus voir cela. C’était tout comme si cet animal pulsionnel en elle prenait le contrôle sur tout son être et lui faisait perdre son libre arbitre.
« J’étais comme possédée, tu sais …. »

Concernant « l’affaire du terrain vague », elle conclut en ces termes : « Peut-être que cette pièce de 2 euros, qui trainait dans ma poche et que j’ai donnée au type me sauva la vie ? Elle me laissa un court répit pendant lequel j’ai pu me dégager et m’enfuir, je crois que là, j’ai vraiment eu peur pour ma vie, et je me disais que c’était trop con que je la finisse là. J’ai eu de la chance que le type ne possédât pas une lame … enfin, je ne crois pas.»

Si pendant quelques temps, après cette expérience, les souvenirs de celle-ci, et les sentiments attachés, lui permirent de ne plus se mettre dans de telles situations, elle était effarée, du nombre d’heures qu’elle occupait sur le net à chercher d’hypothétiques partenaires dont la présence physique ne lui apporterait aucun avantage et qu’elle évitait donc. Ses pulsions encore, étaient présentes. L’animal était là, absolu et exclusif, empiétant sur ses heures de sommeil ; elle émergeait de ces nuits lorsque harassé par la fatigue, l’animal s’endormait enfin, abattu mais pas repu. Lou s’endormait alors comme une masse.

Se dégager du pouvoir de l’animal sur elle fut certainement un élément non négligeable qui influença son choix de suivre un traitement hormonal.

« Une forme de soulagement ? », je lui demandai alors.
« – non, juste une forme de liberté retrouvée. »

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L’Histoire de Lou (1 et 2)

L'histoire de Lou 1

1ère partie : Lou n’est pas née dans un chou

Cela faisait plusieurs mois que Lou passait régulièrement devant cette porte entre-ouverte, mais elle n’y prêtait pas plus d’attention que cela. Et puis, un jour, on ne sait pourquoi, Lou, qui à l’époque ne s’appelait pas encore Lou, sentit en elle-même une forte attirance à aller y passer la tête. Elle avança prudemment, à pas feutrés, jetant un œil derrière son épaule pour vérifier que personne ne l’aperçut et avec un geste lent mais décidé entreprit de faire coulisser la paroi de bois. Sitôt fait, elle fut comme happée par une force immense (un peu comme dans ces films où l’on voit des passagers aspirés par le hublot d’un avion suite à la rupture de celui-ci). De tout son corps elle résista a cette sensation à la fois violente et douce, étant elle-même, attirée et effrayée, puis constatant dans son corps que cette force colossale (comment résister longtemps ?) était colossale, précisément, elle lâcha prise.

Elle fut alors aspirée par un genre de tourbillon, (vous savez, comme celui qui permet de rejoindre le pays des merveilles) et perdit totalement pied avec la réalité partagée des êtres vivants avec lesquels elle partageait sa vie jusqu’alors, qui considéraient, tout comme elle d’ailleurs, que les garçons naissent dans les choux et les filles chez le fleuriste.

D’emblée, la vérité s’avéra pour elle beaucoup plus complexe.

Elle parcourut seule, alors, un long chemin solitaire sur les routes électroniques du web et de site en site, de recherche en Scylla, elle se rendit compte de l’incroyable vérité qui se clarifiait en elle alors : Lou n’était pas celui qu’on croyait.

C’est donc au cours de ses longues errances, lors desquelles elle parcourait (avide) les récits dantesques de ces êtres en proie aux tempêtes d’océans démontés du doute, qu’elle prit conscience que contrairement à ce qu’elle avait imaginé, elle ne se trouvait pas seule à interroger pour elle-même la Vérité (martelée depuis l’enfance) qu’elle était un petit garçon puisqu’elle avait un petit zizi.

C’est à cette époque, me raconta-t-elle, qu’elle entreprit de rouvrir tous les carnets de ses expériences (ceux écrits et ceux non-écrits) et qu’elle rechercha (et trouva) de nombreuses traces de cette vérité qui maintenant lui sautait aux yeux :
« JE SUIS UNE FEMME ! »

Vous imaginez bien comme troublante fut cette révélation, que tout, par ailleurs, semblait démentir.

« Je dis « Démentir » », reprit-elle, « mais j’ajouterais : quoique …. Quoique …. »
En effet, de ces flash back successifs, immergea tout un lot de paradoxes qui vinrent confirmer ses supputations : « Ben, ça date pas d’hier ! »

Fière de cette évidence, elle sentit alors en elle la force de mettre en confrontation sa vérité propre avec celle des autres êtres humains.

« Etre femme en dedans, c’est une chose, se disait-elle, mais comment le paraître au dehors ? » tel était alors son questionnement principal. Elle ne se doutait pas, alors, qu’en réalité, elle ne venait de faire que le premier pas du long chemin transitionnel qui s’ouvrait devant elle, sans qu’elle en sût même l’existence.

Pour ce faire, elle mit en place une stratégie qu’elle prit un maniaque plaisir à huiler, qui lui permettrait, pensait-elle, de faire partager au plus grand nombre le fruit de sa découverte.

Il lui parut sage dans un premier temps, de ne pas s’adresser au plus grand nombre, objectif ultime de sa quête, mais de restreindre celui-ci à quelques uns, inconnus pris au hasard des rencontres urbaines.

Pour démarrer son expérimentation, elle décida (mais était-ce un bon choix ?) de réaliser celle-ci dans la pénombre de la nuit.
Si elle se rendait tout à fait compte que les passants du soir, en quête d’aventures sulfureuses, ne constituaient pas le public le mieux adapté à sa situation, elle en était encore à craindre des rencontres de personnes connues d’elle, ce qui révélait en elle ce nouveau paradoxe : tu veux ou tu veux pas ?

Cette période, reconnaît-elle maintenant, fut en réalité assez pénible.
Vous comprendrez aisément que les essais successifs et approximatifs de Lou à se fabriquer une image féminine, amenant celle-ci à adopter des allures et des styles vestimentaires oscillant entre la catin sur-maquillée et l’as de pique, ne facilitèrent pas son expérimentation.

Elle n’osa me préciser les remarques acerbes ou méprisantes, voire railleuses qu’elle subit alors, et, de mon côté, je n’osai les lui demander car, je sentais sa grande tristesse lorsqu’elle me parlait de ces expériences remplies de honte et de désespoir.

Cette honte, sans aucun doute, trouvait son origine dans le décalage entre les efforts qu’elle déployait à se faire accepter telle qu’elle se ressentait et l’image d’Epinal qui lui était renvoyée d’une professionnelle du sexe, image qui ne lui correspondait pas, même si, du côté de la bagatelle, elle ne se sentait pas en reste.

Elle s’aperçut toutefois qu’au fil des semaines, ses sorties, d’abord nocturnes puis diurnes lui permirent de « passer inaperçue » ! Ainsi elle conclut que c’est par l’absence de réaction des personnes qu’elle croisait qu’elle pouvait finalement juger du caractère probant de ses essais. « Une femme n’est-elle reconnue femme que lorsqu’elle est invisible ? » ricana-t-elle !

Puis vinrent les « Madame » !
Ah ! Les « Madame » ! …
Avec quel bonheur elle me conta ses premiers « Madame » !
Madame chez le boucher, Madame dans les transports, Madame dans l’ascenseur etc..

Les « Madame » vinrent donc comme une consécration des efforts de Lou : « Je passe donc je suis ! »

@ suivre

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Maison close par Lautrec : http://www.parisrevolutionnaire.com

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2ème partie : Lou et les Hommes

Lou est attirée sexuellement par les hommes ;
C’est un fait, une évidence, une réalité.
Cela faisait de nombreuses années que Lou savait cela, et cela faisait de nombreuses années que ses partenaires étaient donc de sexe masculin.

A l’époque, je veux dire, à l’époque avant laquelle Lou avait révélé (à elle-même et au monde entier) son apparente féminité, ceux-ci se qualifiaient généralement dans la catégorie des « gays » : c’est à dire des personnes d’apparence masculine portant un sexe mâle et attirés sexuellement par des personnes d’apparence masculine portant un sexe mâle.
Lorsqu’elle avait des rapports sexuels avec ceux-ci, elle avait, à ses dires, une sexualité féminine et eux une sexualité masculine.
Elle considérait donc que « s’offrir à un homme était un acte féminin » et inversement que prendre son ou sa partenaire était un acte masculin.

Je ne sais pas si vous êtes de son avis, mais toujours est-il qu’il en était ainsi pour elle.

En somme, le regard que Lou porte de cette époque, l’incite à décrire ses rapports ainsi : «  J’étais donc une femme d’apparence masculine, portant un sexe masculin et avec une sexualité féminine tandis que mes partenaires, quant à eux, étaient d’apparence, de sexe et de sexualité masculins.

« Mais de quels genre étaient-ils ? » osais-je lui demander !
« ça ! Nous n’en parlions pas ! »
«  Certains étaient certainement plus .. euh … virils, que d’autres … Certains étaient plus attentionnés, d’autres moins, certains étaient plus égocentrés, d’autres plus altruistes, certains étaient plus sensibles, d’autres peu … etc..  mais savoir leur genre ???? Je ne leur ai jamais demandé ! Du reste, ils n’auraient pas compris ! Et moi-même je ne savais pas tout cela. »

« Et puis, il y avait aussi les hétéros pas gays mais qui l’étaient quand même tout en disant qu’ils ne l’étaient pas ! … Et puis il y avaient les hétéro-gays les bis, en somme… etc.. »

Enfin, toujours est-il qu’il existait, aux yeux de Lou, une certaine concordance entre l’attirance explicitée de ses partenaires et ce qu’elle pouvait leur offrir. Si ses partenaires aimaient sa sexualité féminine, ils aimaient aussi son sexe masculin, Ils l’aimaient, non pas pour s’en servir, mais plutôt comme un apparat, « une marque de reconnaissance de désir et de ressemblance, peut-être ? » .

Mais lorsque la féminité de Lou apparut au grand jour, cela mit du rififi dans l’ordre des choses : ses amis « gays » d’autrefois se détournèrent … ce qui laissa Lou perplexe.

De son point de vue, il ne lui semblait pas que dans l’intimité de l’alcôve, les choses fussent différentes d’auparavant, elle ne se sentait ni plus féminine, ni moins, du reste, elle n’avait pas le sentiment de modifier ses comportements, ni que ses ressentis aient variés …
C’était donc une histoire d’apparence ? Juste une histoire d’apparence ?

« Pourtant, ma féminité, elle était bien là, auparavant, tu sais, elle n’est pas arrivée du jour au lendemain … » me dit-elle, « Comme si je pouvais la montrer par mes gestes, par ma façon d’être, de ressentir et d’agir, mais lorsque je l’ai affichée alors là, ça a été le chambard.»

« Ce qui s’est passé pour eux ? … je n’en sais fichtre rien …
– Tu ne leur as jamais demandé ?
–  Si … non … oui … je ne sais pas … ils ne savaient pas … du reste ça a coupé court, tu sais. Et puis moi-même j’étais un peu perdue à cette époque »

Et aussi, en contrepartie, Lou fit alors la connaissance d’autres hommes, « ceux précisément attirés par mon ambiguïté, ceux attirés par les « femme à bites » … »
« Cela m’a amusée un temps. Et puis cela valorisait ma féminité. J’aimais avec eux me sentir femme. »

Puis elle me raconta comme finalement elle se lassa de ceux-là. Rares (en a-t-il existé un seul ?) furent ceux qui voyaient en elle plus qu’une chose sexuelle particulière, ignorants de la Personne qu’elle était ; nombreux étaient ceux qui la contactaient pour seule fin de réaliser un fantasme, tiré de quelques images vidéos pornographiques, qui de plus « leur permettait d’assouvir leurs pulsions homosexuelles tout en couchant avec une femme ».

« Et puis, tu sais, une trans, ça vaut moins cher qu’une pute ».

Je sentais dans ses propos, une grande amertume, voire une certaine colère, contre eux ? contre elle-même ?
« Mais tu ne peux pas savoir, j’en ai eu de tous âges, 10, 20, 25 ans plus jeunes que moi ! Des gamins de vingt piges comme des vieux vicelards qui se couchaient sur le lit en me disant « Suce-moi », comme si j’étais une professionnelle … »
« Et le pire, vois-tu, c’est que je le faisais. »

« Et l’amour ? » ….
Pour Lou, l’amour était ailleurs, l’amour était distancié du sexe.
« J’en ai trop fait … j’ai trop fait de sexe, et trop fait mal. L’excitation des hommes m’excitaient mais finalement ils m’ont usée … et en plus je ne les faisais même pas payer ! »
« Une fois j’ai essayé, ou plus exactement j’ai fait semblant d’essayer : un mec que j’ai rencontré sur un chat et qui proposait de me payer. Pourquoi pas, je me dis. Il me téléphone. Et là j’ai craqué ! Un tel irrespect, un tel égoïsme, et des schémas plaqués à me faire vomir. J’ai laissé tomber. »

« Et l’amour ?, je te demandais. »
« – Comment voulais-tu que je rencontre un homme capable de m’aimer totalement dans mon ambivalence ? Les Personnes bi-sexuées n’ont pas de statut ici. Elles n’existent que dans le monde de la nuit. Quand je dis bi-sexuées, je parle précisément de genre et de sexe. Il n’y a pas de place pour les personnes dont le genre et le sexe ne correspondent pas. Tu comprends pourquoi il est tellement plus facile de rester dans le placard. Au moins, là, on est tranquille, c’est chaud … Le souci c’est quand le placard devient trop étroit … mais tu sais, sortir du placard c’est aller dans un no man’s land … ou bien c’est aller jusqu’au bout, se mettre en conformité. Avais-je le choix ?»

@ suivre

Premiers pas de trans’

Gelitin La Louvre-Paris

Performance de genre : Gelitin
La Louvre-Paris, 2008

Je me dis que j’ai eu de la chance je n’ai pas vécu de période d’atermoiements. Le jour où j’ai pris conscience de ma transidentité correspond à peu de choses près au début de ma transition. Mais il aura fallut beaucoup de temps avant que ce jour ne vienne.

Je n’avais pas conscience des causes de mon mal-être trimballé depuis l’enfance. Je ne savais pas d’où venait cet ennui profond, ce peu d’appétit de la vie allant jusqu’au dégoût de moi-même. Cela me suivait depuis toujours. Pour moi c’était chimique. Ma chimie interne produisait des substances déprimantes et cela expliquait mon caractère dépressif.  Ah, quand le déterminisme biologique nous tient ! Je n’avais pas beaucoup cherché il faut dire, m’abrutissant d’activités diverses, de mariage, de paternité, de carrière, de relations relationnelles pour éviter d’avoir le temps de réfléchir. Le système mis en place à plutôt bien fonctionné tant que mes différents objectifs n’étaient pas réalisés. Puis ils le furent. J’ai « eu » (je peux même dire possédé) femme, enfants et réussite professionnelle (rapide en plus car j’y mettais toute mon énergie). Une fois parvenue à ce sommet, ce « climax » social, tout s’est effondré car malgré l’atteinte de mes objectifs, je ne me sentais pas comblée. Au contraire. Je me sentais vide comme une peau de chat mort. j’étais la plus malheureuse du monde (enfin de mon point de vue !).  Deux ans sur le divan d’une psy ne me permirent pas de comprendre le problème, au contraire ! Cet épisode contribua à augmenter le dégoût que j’avais de moi-même (encore un masque assez simple à mettre en œuvre, la culpabilité). Une « experte » de la psyché posait le diagnostic que j’acceptais sans sciller : j’étais pervers. Ça me convenait bien cette définition. Ça expliquait bien des choses. Alors bien sûr pour se sentir bien dans ses baskets c’est pas forcément l’idéal de se trimballer cette étiquette, mais d’un point de vue pragmatique les choses étaient à leur place. Le problème, c’est que même nantie de cette explication hautement scientifique, cela ne suffit pas à me sortir de la dépression. Certes j’ai arrêté de culpabiliser. J’étais pervers, so what ? Ça arrive à des gens très bien. J’acceptais d’être pervers, je me sentais capable d’assumer ce rôle qui peut être assez rigolo (le sado masochisme ça peut être festif). Mais cela ne me suffisait pas. je voulais être heureuse, ou du moins pas constamment déprimée sans raison. Et ce que je vivais c’était l’inverse. Perverse, sans culpabilité mais terriblement malheureuse. La limite de la thérapie psychanalytique se fit rapidement sentir, la dépression était toujours là.

Alors, pour échapper à cette depression (sans abandonner ma perversion), pour enfin « réussir ma vie » (comme on dit), mais toujours sans réfléchir aux raisons de ce profond malaise que rien ne semblait pouvoir annuler, j’ai détricoté le bel édifice, ce qui fut vite fait. Je démissionnais de mon super boulot directorial (non sans m’assurer un autre avenir professionnel), je divorçais (non sans entrer dans une nouvelle relation clairement plus amoureuse que la première), vendait maison et voiture (non sans… etc.) et je repartais pour de nouvelles aventures. La nouveauté de la situation servait de nouveau masque, et la joie de vivre revenait. La nouvelle construction a tenu quelques années avant de s’effondrer à nouveau. Au final elle avait tenu beaucoup moins longtemps que la première. Donc c’était un peu inquiétant pour l’avenir. De façon encore plus violente que la première fois la depression revint. J’étais desepérée car ce coup-ci, je pensais avoir réglé mes problèmes de relation amoureuse insatisfaisante, de boulot envahissant et de maison trop grande. Le problème n’était donc pas là. Il allait falloir réfléchir, quelle merde.

C’est donc sans en avoir véritablement le choix, histoire de pas me pendre par accident (c’est si vite arrivé!), que je pris la décision de mener un petit travail d’introspection un peu sincère, en solitaire, loin des divans des psys (je fonctionne mieux sans leurs avis tout empreints de leurs propres préjugés), devant mon clavier, où je joue les juges impitoyables de ma sincérité. Je n’essayais pas d’écrire pour d’autres, ce que j’avais à dire était débarrassé de tout enjeu de lisibilité par un quelconque lecteur. Comment être parfaitement sincère quand on sait que ce qu’on écrit sera lu par sa mère ou ses enfants ? Je ne suis pas Christine Angot ou Gullaume Dustan !

Ce travail me permit rapidement de faire surgir à ma conscience de façon très nette (écrite) ce que je savais déjà depuis toujours, sans mettre les mots dessus : j’étais plus que probablement trans’ (au début je disais « transsexuel »). Restait à faire un petit travail de documentation pas très compliqué sur internet, pour simplement dépathologiser ce sentiment, en gros sortir de l’idée que tout ceci n’était qu’un « malaise chimique », un dérèglement biologique interne. On y parvient vite lorsque l’on accepte de faire la différence entre sexe, genre et pulsions sexuelles ! Je n’étais pas malade, je n’étais pas pervers, j’étais trans’. C’était social. Restait surtout à valider cette autodéfinition, et aussi le caractère social et non sexuel de la chose. C’est ce que je décidais de faire rapidement, d’abord en sortant de chez moi habillé en femme, ce qui m’apportat la première confirmation d’un réel sentiment de bien être (ma « révélation » était plutôt une « confirmation »). Je fus en un instant fulgurant débarassée de tout sentiment de culpabilité, et l’idée de ma perversion me faisait désormais doucement rigoler.

Si j’ai pu démarrer aussi vite ma transition après cette prise de conscience, c’est parce que j’avais laissé des traces dans mon passé de mon désir d’appartenir au genre féminin. Une multitudes d’indices qui sur le moment étaient restés mystérieux, pour moi et pour les autres. Des écrits, des travaux plastiques, des souvenirs d’enfance et d’adolescence sont revenus comme autant de petits cailloux semés pour m’aider à refaire le chemin à l’envers, et remonter à l’origine de mon sentiment. Les choses ne survenaient pas brusquement, venues de nulle part. Cela était très rassurant. Et puis l’autre raison qui à permit d’aller vite, c’est que matériellement les conditions étaient à peu près réunies (malgrès la peur de foutre en l’air toute mon organisation de vie encore une fois, mais cela ne s’est pas produit)